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La Clairette de Die

Née sous le soleil de la Vallée de la Drôme, sur des coteaux reconnus les plus hauts de France, la Clairette de Die est un vin pétillant naturel, doux et fruité. Vin effervescent emblématique de la Drôme il se déguste idéalement fraîche, à une température entre 6 et 8°C, pour pleinement apprécier sa finesse et ses arômes fruités et avec modération.
Zone géographique
Le vignoble de « Clairette de Die » est situé sur les 31 communes du département de la Drôme : Aix-en-Diois, Aouste-sur-Sye, Aubenasson, Aurel, Barsac, Barnave, Beaufort-sur-Gervanne, Châtillon-en-Diois, Die, Espenel, Laval-d’Aix, Luc-en-Diois, Menglon, Mirabel-et-Blacons, Molière-Glandaz, Montclar-sur-Gervanne, Montlaur-en-Diois, Montmaur-en-Diois, Piegros-la-Clastre, Ponet-et-Saint-Auban, Pontaix, Poyols, Recoubeau-Jansac, Saillans, Saint-Benoît-en-Diois, Saint-Roman, Saint-Sauveur-en-Diois, Sainte-Croix, Suze-sur-Crest, Vercheny, Véronne.
La zone géographique se situe au sud-est de la commune de Valence, dans la partie nord des chaînes subalpines méridionales. Elle est limitée, au nord, par les hautes falaises du Vercors et du plateau du Glandasse, au sud, par la montagne de Saou et, à l’ouest, par la dépression rhodanienne.
Au cœur des montagnes s’ouvrent les vallées du Bez et de la Drôme, constituées de vastes plaines alluviales et drainant une série de bassins séparés, des goulets alternés avec de vastes combes comme celle de Die et Vercheny.
En remontant son cours, on dénombre 31 communes sur le territoire desquelles peuvent être produites indifféremment les appellations d’origines contrôlées « Clairette de Die », « Coteaux de Die » et « Crémant de Die ». Il faut noter que 12 de ces communes sont incluses dans la zone géographique de l’appellation d’origine contrôlée « Châtillon-en-Diois ».
De par son encépagement, le vignoble du Diois constitue un trait d’union entre la Provence viticole, grâce aux cépages muscat à petits grains B, muscat à petits grains Rg, et clairette B et clairette Rs présents dans les vins de l’appellation d’origine contrôlée « Clairette de Die », et la Bourgogne d’où proviennent les cépages gamay N, aligoté B et chardonnay B entrant dans l’élaboration des vins de l’appellation « Châtillon-en-Diois ».
En venant de la fosse Vocontienne, le contraste entre les orientations générales nord-sud des plis du massif du Vercors et est-ouest des reliefs du Diois est saisissant. La grande complexité géologique de cette région résulte d’une intense érosion et de fortes contraintes physiques liées essentiellement aux plissements alpins.
On peut cependant y distinguer deux grands ensembles. D’une part, l’avant pays, qui a pour limite orientale la cluse de Saillans et dont les roches, d’origine crétacée, sont constituées d’alternance de marnes et de calcaires argileux. D’autre part, le pays en amont de Saillans, formé d’un anticlinorium d’âge jurassique éventré par l’érosion, a donné naissance à une succession de dépressions comme celles d’Aurel, de Barsac et de Vercheny. L’érosion de cette carapace, datée du jurassique supérieur, est à l’origine de grandes « barres calcaires » qui dominent le paysage et qui ont alimenté en éléments grossiers les niveaux du jurassique inférieur mis au jour et constitués d’alternances marno-calcaires très compactées. Ces marnes, issues de grandes épaisseurs de sédiments fossilifères déposés au fond de la mer pendant le secondaire, et constituent les fameuses « terres noires » du Diois.
Enfin, il faut noter le rôle joué par les dépôts d’âge quaternaire dans ces deux ensembles. Ce sont les terrasses fluviatiles de la Drôme et de la Gervanne, les cônes de déjection et les éboulis calcaires.
Ainsi, la vigne s’est développée sur cette palette de sols à la structure hétérogène.
L’encépagement comprend le Muscat blanc à petits grains pour les deux tiers (baies dorés, rondes et très serrées; et la Clairette blanche pour un tiers (grappe peu serrée aux grains oblongs).
Les rendements restent limités à 50 hectolitres/hectare pour préserver la qualité. Les vendanges sont faites à la main, le plus souvent en octobre. La production totale de la Clairette de Die atteint près de 10 millions de bouteilles, ce qui en fait le troisième vin effervescent AOC français en volume.
L’aire de production établie en 1910, confirmée en 1942, puis modifiée en 1985, 2002, 2006, 2013.

Histoire
La plupart des écrits concordent pour dater l’installation de la vigne par le couloir Rhodanien et dans les vallées proches au moment de la conquête Romaine c’est-à-dire au cours du IIe siècle avant J.C. A cette époque, l’actuelle frange méridionale du département de la Drôme appartient au territoire des Voconces, peuple gaulois dont les principales cités sont chronologiquement Luc-en-Diois (Lucus Augusti ) puis Die (Dea Augusta Vocontiorum ). A partir du Ier siècle après J.C., des traces écrites corroborent l’existence de vin dans le Diois. En outre, Pline l’Ancien (77 après J.C.) offre dans son « Histoire Naturelle» une preuve historique de premier choix sur l’existence de deux vins réputés produits dans ce pays de Voconces : un vin doux (vinum dulce) issu d’un cépage récolté tardivement (probablement le cépage muscat à petits grains B) et un vin pétillant (aigleucos), dont on arrêtait la fermentation en plongeant les dolia (jarres de vin) dans l’eau froide, jusqu’à l’hiver. Une filiation évidente s’établit entre ces vins antiques l’un doux, l’autre bourru et plus ou moins mousseux et la « Clairette de Die » complétée par la mention « méthode ancestrale » d’aujourd’hui, à la fois douce et effervescente. L’histoire a même retenu un sacrifice taurobolique en l’honneur de Liber Pater (dieu assimilé à Bacchus) et de l’empereur Philippe célébré le 2 des Calendes d’octobre (30 septembre 245), à Die, par les prêtres de Valence, d’Orange, d’Alba et de Die.
L’édit de l’empereur romain Domitien, en 92, interdisait la plantation de nouvelles vignes hors d’Italie ; il fit arracher partiellement les vignes en Bourgogne afin d’éviter la concurrence ; édit annulé par Probus en 280.
D’autres preuves de l’antériorité de la culture de la vigne et du vin abondent aussi sous forme de vestiges archéologiques. Citons notamment, une frise de la porte Saint-Marcel à Die (IIIe siècle après J.C.) représentant le culte de Liber Pater, un couvercle de sarcophage provenant de Die figurant des Amours vendangeurs (IIIe siècle), un fragment de marbre blanc portant une sculpture en haut relief d’un pied de vigne avec grappes et vendangeur, un bas relief de sarcophage chrétien avec des vendangeurs, des dolia provenant d’un cellier d’une villa augustéenne découverte à Pontaix.
Au XIIe et XIIIesiècle, le vin du Diois apparaît sur plusieurs chartes qui ont trait au droit de banvin (impôt payé au seigneur pour pouvoir vendre du vin sur ses terres). La plupart des chartes de la même époque font par ailleurs couramment état de transactions de vignes sur Die et ses environs.
A l’origine, ce produit peu stable ne pouvait pas être mis en bouteille et était donc vendu en tonneaux durant la saison froide.Entre le XVe siècle et le XVIIIe siècle, le vin mousseux est essentiellement consommée sur place ou dans les montagnes proches (Diois, Dévoluy, Trièves, Vercors).
Plus tard, la viticulture devient omniprésente comme en témoigne le parcellaire de Die dressé en 1595 qui révèle l’existence de vignes dans dix-sept quartiers sur les dix-neuf que compte la ville.
Entre les vins du pays de Voconces (Vinum Dulce et Aigleucos) cités au Ier siècle et la « Clairette de Die », reconnue au début du XXe siècle, différentes dénominations jalonnent l’histoire de ce vin.
On trouve au XVIe siècle un vin Claret et un vin Blanc, qui est probablement un vin rouge très clair ou rosé et un vin Blanc, l’évêque Jean de Montluc recevant en 1577 deux tonneaux de ces vins.
Le 4 Mai 1629, les Diois offrent au roi Louis XIII, de passage dans la ville, deux charges de vin Muscat fournies par Jacques Richard.
Ces éléments constituent les premières pièces d’un puzzle décrivant des vins blancs issus du cépage muscat à petits grains B, doux, partiellement fermentés, mousseux.
Il faut attendre le XVIIIème siècle pour que le terme « Clerete » associé à l’origine géographique (de Die) apparaisse explicitement (Correspondance du notaire Accarias de Châtillon-en-Diois – 1748). Un texte de 1748 rapportant une requête d’un client faisant sa commande de vin depuis Mens (commune du Trièves) : « …Comme je sais que la Clerete de Die, surtout la bonne, est toujours arrêtée d’avance ».
Au cours de cette histoire, les viticulteurs ont plantés de la vigne sur la fraction de la vallée de la Drôme comprise entre Aouste-sur-Sye et Luc-en-Diois et dans la vallée de la Gervanne.
En 1781, Faujas de Saint-Fonds écrit dans son ouvrage intitulé « Histoire Naturelle de la Province du Dauphiné » : « il existe encore dans cette province des vins qui ont de la réputation, tel le vin mousseux de Die… »
Avant l’arrivée du phylloxéra, les cépages caractéristiques plantés dans le Diois sont la Funate et le Paugayen pour les vins rouges, les cépages clairette B et muscat à petits grains B pour les vins blancs.
A partir de 1825, un négociant (maison Joubert et Bernard), installé à Die, joint au commerce de son père (peaux tannées), la vente des vins de sa propriété et de ceux achetés à des vignerons. La diffusion des vins se fait d’abord aux alentours, dans la ville de Die, puis s’organise pour alimenter les communes du Diois. L’entreprise prospère et achète les raisins, et le vin obtenu est expédié en pièces de 110 litres plus loin encore jusqu’à Nîmes, Grenoble, Avignon, Privas…mais le transport est long et périlleux, le vin arrive souvent dégradé ou n’arrive même pas du tout. Il faut attendre le désenclavement de la vallée de la Drôme, grâce notamment à l’inauguration de la voie ferrée reliant Die à la grande ligne Paris-Marseille, en 1885, pour que cette production vinicole originale soit reconnue au-delà des régions proches, sur le plan national.
Des éléments de notoriété sont aussi rattachés à des secteurs de la zone géographique, quelquefois à une commune en particulier. Ainsi, A. Lacroix écrit en 1924 dans son ouvrage intitulé « A travers l’histoire des cantons de Crest et Châtillon » : « Sur le flanc occidental du massif de rochers qui occupe presque en entier cette station, le soleil mûrit le raisin d’un vin blanc mousseux fort agréable connu sous le nom de vin de Barsac ».
De même, V. Pellegrin (directeur des services de la Drôme en 1950), affirme qu’au XIXe siècle : « Les muscats mousseux les plus renommés provenaient d’Aurel, Barsac, Espenel, Vercheny et les communes voisines ».
La fragilité de ce produit explique entre autres les habitudes de consommation locale et un périmètre de diffusion originellement restreint. Les progrès de l’œnologie apportent la maîtrise de ce processus et permettent enfin une mise en bouteille rationnelle.
En 1834, une technique rudimentaire de filtration, utilisant d’abord le transvasement d’un récipient à l’autre.
Vers 1850, l’extension du vignoble s’est poursuivie pour atteindre son apogée au milieu du XIXe siècle avec une surface du vignoble évaluée à 6000 hectares.
En 1863, la crise phylloxérique bouleverse, comme ailleurs, l’encépagement et participe au développement des hybrides producteurs directs américains (Clinton, Othello) tout en favorisant l’arrivée de plants greffés, en provenance d’autres régions viticoles (Midi, Bourgogne). Nonobstant l’élimination obligatoire des hybrides, beaucoup de cépages autochtones (Funate, Paugayen) sont abandonnés à cause de leur sensibilité à la coulure ou à l’oidium, et ceux en provenance d’autres régions (grenache N, alicante-bouschet, aramon N, carignan N, grand-noir N,…) subissent, pour la plupart, le même sort en raison de problèmes qualitatifs ou d’inadaptation au climat.
A partir de 1870, la crise phylloxérique ampute 80% du vignoble, seuls 1000 hectares environ subsistent. A cette époque, de nombreuses vignes quittent les coteaux laissant les terrasses abandonnées.
Progressivement et forts et des sélections qu’ils ont pu faire, les vignerons sont revenus aux cépages autochtones blancs, clairette B et muscat à petits grains B, qu’ils ont sélectionnés. Même si les cépages blancs sont majoritairement cultivés, la présence de cépages rouges tels que gamay N ou muscat à petits grains Rg est attestée sur l’aire géographique jusqu’à nos jours.
En 1884, comme en de nombreux autres vignobles, ces difficultés sont à l’origine des premiers regroupements de vignerons au travers du syndicat pour la destruction du phylloxéra.
1902, mise en place de la technique de grandes manches en toile pour appauvrir le vin en levures.
Création de la répression des fraudes en 1905 avec la définition de la notion de « Tromperie sur la marchandise », la loi du 1er août 1905 stipule :
« Quiconque, qu’il soit ou non partie au contrat, aura trompé ou tenté de tromper le contractant, par quelque moyen ou procédé que ce soit, même par l’intermédiaire d’un tiers :
– soit sur la nature, l’espèce, l’origine, les qualités substantielles, la composition ou la teneur en principes utiles de toutes marchandises ;
– soit sur la quantité des choses ou sur leur identité par la livraison d’une marchandise autre que la chose déterminée qui a fait l’objet du contrat ;
– soit sur l’aptitude à l’emploi, les risques inhérents à l’utilisation du produit, les contrôles effectués, les modes d’emploi ou les précautions à prendre,
Sera puni d’un emprisonnement de trois mois au moins, deux ans au plus et d’une amende de 1.000 F au moins, 250.000 F au plus ou de l’une de ces deux peines seulement. »
L’année 1908 marque la naissance du syndicat pour la défense de la « Clairette de Die » et la reconnaissance en appellation d’origine réglementée intervient en 1910 (décret du 21 Avril 1910) avec une première délimitation réalisée sur 41 communes. A cette époque le terme « Clairette de Die » désigne l’ensemble des vins blancs produits dans ce secteur sans distinction de cépages dénommés alors « Clairette » et « Clairette Muscat » ou de type de vinification (en vin tranquille ou mousseux).
1942 : l’appellation d’origine contrôlée « Clairette de Die » reconnue par un décret du 30 décembre aux vins mousseux blancs. Cette étape va accélérer le développement de la viticulture et cristalliser la communauté humaine autour d’un produit.
L’année 1950 voit naître la cave coopérative de Die qui jouera un rôle moteur dans le développement économique de la région et dans la diffusion de la renommée de la « Clairette de Die ». En 1979, elle vinifie 38 059 hectolitres de vins dont 34 086 hectolitres d’ AOC Clairette de Die et Châtillon-en-diois pour le compte de 529 adhérents cultivant 795 hectares de vignes. En 1983, on estimait qu’elle faisait vivre le quart de la population du Diois et, en 2010, elle génère encore 500 emplois directs.

La cave coopérative de Die dans es années 1960
Le décret du 25 Mai 1971 distingue les vins mousseux élaborés par « méthode dioise » issus principalement de moûts du cépage muscat à petits grains B partiellement fermentés et ceux élaborés par « seconde fermentation » à partir d’un vin de base issu essentiellement du cépage clairette B.
Les vins ne peuvent être mis en circulation avec une AOC sans un certificat délivré par l’institut national des appellations d’origine selon les dispositions du décret susvisé n° 74-871 du 19 octobre 1974 relatif aux examens analytique et organoleptique des vins à appellation d’origine contrôlée.
Révision de l’aire parcellaire de production telle qu’approuvée par l’Institut national de l’origine et de la qualité lors de la séance du comité national compétent du 6 novembre 1985.
A partir du 31 août 1992, le cépage clairette rose Rs est interdit en plantation.
Le décret du 26 mars 1993 définit les conditions de production de l’appellation d’origine contrôlée « Crémant de Die »
Depuis le 26 novembre 2016, date de la publication au Journal Officiel, la clairette de Die version rosé est autorisée. Le premier millésime est attendu pour le printemps 2017. Ce décret régissant l’appellation d’origine contrôlée (AOC) clairette rosée, jugeant que ce vin mousseux rosé n’était pas présent historiquement dans le Diois, et a condamné l’État à verser une somme de 3.000 euros au Syndicat des vins de Bugey (Ain), le Conseil d’État a conclu le 12 janvier 2018 à la nullité du décret du 16 novembre 2016

Le territoire de la Clairette de Die
Fascicule de V. Pellegrin
V. Pellegrin, Ingénieur en chef, Directeur des Services agricoles de le Drôme, a édité ce fascicule sous les auspices du Ministère de l’Agriculture, en janvier 1951 afin de le communiquer aux producteurs de Clairette de Die.
Clairette de Die
(Muscat mousseux) par V. PELLEGRIN, Ingénieur en chef des Services Agricoles
La Drôme est un département aux. ressources agricoles des plus variées puisque l’olivier, la lavande, la truffe, le ver à soie y rejoignent tabac, colza et betterave industrielle passant par les céréales, la vigne, les cultures maraîchères, les graines potagères, sans omettre l’élevage et surtout les productions fruitières qui, de plus en plus, constituent sa principale richesse.
Et pourtant, dans de nombreux cantons, la désertion des campagnes sévit intensément depuis un siècle et ce n’est point sans serrement de cœur qu’en observant une carte démographique on constate que 130 000 hectares du Nyonsais et du Diois appartiennent à la zone la moins peuplée de France.
Il est de notre devoir de combattre cet abandon par toutes recherches et initiatives propres à améliorer les revenus de populations qui ne quittent leur foyer, que chassées par le besoin. Encore faut-il porter nos efforts sur des productions dignes d’intérêt et non sur celles vouées à la disparition par l’évolution des facteurs économiques.
Comment relever la sériciculture à l’époque du nylon et de la concurrence japonaise ? Comment sauver la lavande si nos seuls clients, les Britanniques, refusent toute devise pour l’achat de nos parfums ? Comment conseiller la culture du blé lorsque l’aridité du .sol limite à 8 ou 12 quintaux les meilleurs rendements. Aussi nous paraît-il essentiel de ne pas laisser péricliter une production encore florissante alors que l’amélioration de sa qualité semble devoir lui offrir un prometteur avenir.

Tel est le cas de la « Clairette de Die » qui constitue apparemment la seule chance de salut des exploitants d’une région aux sols trop accidentés pour en permettre l’utilisation intensive.
Abandonner ce cru serait d’ailleurs commettre, sinon une trahison, du moins une impardonnable négligence envers le plus ancien sans doute des fleurons de notre viticulture française. Nul autre que lui ne peut, en effet, se flatter d’avoir été, en qualité de vin doux vraiment naturel, opposé en tout premier lieu par Pline aux divers crus que critique le célèbre écrivain dans son Histoire Naturelle – Livre XIVchapitre 9, des 13 variétés de vins doux – comme étant « sophistiqués » par addition de miel, de moût cuit, de poix ou de baies diverses.
Qu’est ce que la Clairette de Die ?
Si l’on s’en rapporte au Comité des Appellations d’origine, la Clairette de Die est un vin blanc doux, mousseux naturel, provenant des raisins Clairette et Muscat à petits grains récoltés dans la zone délimitée sur les pentes de la vallée de la Drôme moyenne.
Mais, pour les connaisseurs, cette définition est à la fois incomplète et erronée.
Incomplète, car elle omet le caractère essentiel du cru, celui qui constitue son principal attrait, celui qui en fait un breuvage non seulement délicieux, mais encore unique en France : il s’agit du parfum et de saveur de muscat qu’il doit au cépage du même nom.
Il existe bien d’autres vins muscats, ceux de Frontignan, de Lunel, de Rivesaltes, de Tuchan, etc. Mais nul n’ignore qu’une addition d’alcool les a mutés et rendis inaptes à la prise de mousse.
En fait la Clairette de Die ne connaît qu’un concurrent au monde : l’Asti spumante qu’une publicité bien conduite, aidée par un certain snobisme a rendu célèbre, et qui , cependant, est souvent de qualité inférieure à notre cru local. Selon une tradition drômoise, le vignoble muscat d’Asti proviendrait de boutures prélevées dans le Diois lors des guerres du Premier Empire. Nous ignorons l’origine de cette croyance dont la véracité paraît être douteuse, car Pline signale que les muscats sont à son époque déjà très cultivés dans la péninsule.
I.a précédente définition de la « Clairette de Die » est en outre erronée. Elle prétend faire attribuer, dans l’encépagement, la prédominance au cépage vulgaire, Clairette, sur le cépage noble, Muscat ; en effet, le décret du 30 décembre 1942 spécifie qu’à partir de 1953 la Clairette devrait représenter 30 % des plants, et, en 1962, cette proportion serait portée à 50 %. Si l’on tient compte des différences de productivité des deux variétés, l’application de pareille décision équivaudrait à ne laisser qu’une part infime au Muscat.
Cette stipulation fut obtenue sur intervention intéressée d’une personne qui possédait d’efficaces moyens de pression et qui, profitant du fait que le président des défenseurs du Muscat était prisonnier de guerre, sut, pour obtenir l’acceptation des vignerons, faire valoir devant eux le classement de leur cru.
Or, en réalité. au point de vue historique et traditionnel, aucun fait ne justifie celte définition.
Dans son Histoire Naturelle, Pline précise que le cépage utilisé par les Voconces ou habitants du Diois pour la fabrication de leur vin doux naturel est un cépage qui « craint la pourriture ». A ce seul caractère on reconnaît qu’il ne saurait s’agir du plant Clairette.
Ensuite, durant prés de 18 siècles, aucune précision concernant la nature du cépage ne nous est fournie par les nombreux documents qui pourtant signalent l’importance du vignoble dans vallée de la Drôme et la haute qualité de ses vins. Il ne faut d’ailleurs. pas trop regretter cette carence car Olivier de Serres fait pertinemment observer qu’il y a lieu de se méfier des désignations de cépages, celles-ci se contredisant. d’une paroisse à la voisine.
Dans sa « Statistique de la Drôme », en 1834, Delacroix nous incite également à la prudence et, pour ce motif semble-t-il, ne cite aucun des 200 noms relevés dans la Drôme lors de l’enquête prescrite quelques années plus tôt par le ministre Chapsal.
Et cependant il n’oublie point de signaler que à Saillans et Die on fait un vin blaire mousseux, appelé Clairette, fort agréable à boire et qui a quelque analogie avec le champagne mousseux.
Peu de temps auparavant, en 1832, dans sa « Topographie de tous les vignobles connus », Jullien, avait également noté que : Die a, dans ses environs, des vignobles dont on tire des vins blancs de fort bonne qualité qui sont connus sous le nom de Clairette de Die. Doux, assez spiritueux, et d’un goût fort agréable, ils moussent comme le Champagne, mais ils ne conservent ces qualités que pendant deux ans.
Ainsi donc aucun de ces deux auteurs ne laisse entendre qu’il y ait une relation quelconque entre le vin « Clairette de Die » , et le cépage Clairette. En 1895 dans son cours de viticulture, Foex semble être le premier à commettre cette confusion. En 1901 l’ampélographie de Viala et Vermorel. reproduit la même erreur.
Et pourtant, s’ils avaient approfondi ce sujet ces deux. ampélographes eussent pu rectifier leur texte, Ils citent, en effet, les travaux de M. Roos. Or, s’ils avaient lu le compte rendu paru en 1903, ils n’auraient pas manqué de signaler que cet œnologue indiquait que la Clairette de Die comprend tantôt du cépage Clairette, tantôt du Muscat et très souvent, les deux cépages mélangés. Il précise même qu’au cours de sa visite, en 1902, il a constaté que la plupart des raisins Clairette dosant seulement 120 g de sucre étaient incapables de donner des vins liquoreux demi-mousseux, 178 g représentant la tenue légale minimum ; pratiquement 190 g sont nécessaires. N’est-ce pas reconnaître implicitement que seul le Muscat est propre à cette vinification ?
D’ailleurs, en 1911, dans la Revue de Viticulture, Rolland professeur départemental d’agriculture confirme : « de beaucoup c’est le muscat qui domine » .
Vers la même époque ou observe que, dans la région, nombre de souches de muscat âgées de 80 ans et plus ont survécu à l’invasion phylloxérique. Malgré sa vigueur, aucun pied de Clairette n’est signalé comme étant antérieur à l’apparition de l’insecte. En 1937 une enquête sur les rendements dans la région productrice de Clairette de Die donne les résultats suivants : Muscat 5.034 hectolitres et Clairette 1.233 hectolitres.
Si l’on tient compte des différences de productivité entre les deux cépages on peut en déduire que le nombre de pieds Clairette n’était guère supérieur au dixième de celui du Muscat. Enfin si on élimine les communes les plus excentriques pour ne retenir que les plus réputées, c’est-à-dire : Aurel, Barsac, Espenel, Pontaix, Vercheny, Sainte-Croix et Ponet, les totaux respectifs se montent alors à 4.083 hl. pour le Muscat, contre 559 hl. pour la Clairette.
Dans ces conditions l’on comprend qu’avant sa mise en sommeil la Chambre d’Agriculture ait défendu énergiquement le plant de qualité.
Soucieux de contrôler les faits avancés par elle nous avons, en 1950, procédé à une enquête dans la région productrice. Les viticulteurs nous ont mis à même de profiter non seulement de leur expérience, mais encore de celle que possédaient leurs grands-parents et même arrière-grands-parents, faisant ainsi remonter la tradition à plus d’un siècle. Or, tous ont été formels pour affirmer que le cru Clairette est à base de Muscat. L’une des meilleures exploitantes a employé cette formule fort expressive quoique apparemment contradictoire : « La Clairette de Die qui serait faite avec de la Clairette ne serait plus de la Clairette. de Die »
Bien entendu le plant Clairette était cultivé dans région comme dans tous les vignobles méridionaux, mais fréquemment il y mûrie mal et sa destination était, surtout, la consommation en nature à la ferme, usage tout indiqué, étant donné, d’une part, son aptitude à une longue conservation au cours de l’hiver et, d’autre part, la beauté et l’attrait de sa grappe.
Certes, lorsque la récolte était abondante, il arrivait qu’un viticulteur préparât avec elle quelques fûts de vin, mais de vin blanc sec « tranquille » et non mousseux. Il peut se faire aussi qu’en année propice, lorsque le Muscat était très riche en sucre, il supportât une légère addition de Clairette que nous qualifierions de frauduleuse si les décisions du Comité des Appellations d’origine ne tendaient aujourd’hui, à en faire une obligation, obligation dont se montrent fort heureux, de profiter certains producteurs à courte vue qui y voient l’occasion de prompts bénéfices, oubliant que, dans quelques lustres, la disparition la qualité désirée aboutira à la déconsidération d’un cru auquel s’offrent pourtant, dans des conditions extrêmement favorables, de brillantes possibilités d’avenir.
En résumé, la définition actuelle renferme une erreur qui, nous y reviendrons, devient un danger. L’erreur résulte de la présentation de renseignements tendancieux propres à corroborer, dans l’esprit des rapporteurs, une fausse interprétation linguistique ; or, contrairement à ce qu’ont pensé les experts, le cru « Clairette de Die » ne tire nullement son nom du plant Clairette ; sa désignation est en réalité une dérivation des vieux termes patois « claret » ou « vin clairet », couramment utilisés par opposition à vin rouge, vin de couleur.

Vercheny-le-Haut – Transport du vin – 1902

Aussi avons-nous été heureux d’apprendre que plusieurs membres du Comité national des Appellations d’origine seraient, sur demande des intéressés, tout disposés à réparer la faute commise à une époque fort troublée. Peut-être, pour satisfaire les puristes, devra-t-on remettre en honneur les vieilles appellations de Mousseux du Diois, Muscat de Die, de Barsac. En attendant, il importe qu’on sache que lorsqu’on parle de « Clairette de Die » il s’agit, pour tout connaisseur, d’un Muscat blanc à mousse naturelle.
Historique
Dans l’ouvrage déjà cita, Pline indique comment les Voconces, dont la capitale était Dea Augusta, ancien nom de Die, obtenaient leur « aigleucos » ou vin doux demeurant mousseux : « Pour l’empêcher de bouillir et, par conséquent, de se changer en véritable vin, le moût soutiré à la cuve était, dit-il, mis en fûts que l’on plongeait dans l’eau froide des rivières jusqu’au solstice d’hiver, c’est-à-dire jusqu’à ce qu’il gèle fortement ». En appliquant ainsi un procédé frigorifique vers lequel on s’oriente à nouveau, ces vignerons furent de précoces, mais incontestables précurseurs.
De l’occupation romaine à la Révolution maint document fait état des dons ou prestations de vin « album et claretum » (blanc et clair) remis aux seigneurs et prélats, mais aucun ne précise le mode d’obtention.
Au début du siècle dernier la filtration à l’aide de cornets de papier retenus dans des gouttières constituait pour les familles des récoltants, au cours des jours et des nuits d’automne, un gros travail que les filtres à manches vinrent ensuite simplifier.
A cause du manque de voies de communication, l’exportation devait alors être assez réduite, les routes de la vallée, ne datent, en effet, que du début, et la voie ferrée de la fin du XIXe siècle. Aussi longtemps que les transports furent difficiles; on vendit le vin uniquement en petits fûts, quartauts et sixains, les consommateurs se chargeant de la mise en bouteilles aux fins de prise de mousse et se contentant parfois de récipients de fortune telles que de modestes cannettes de bière.
En 1903, dans leur brochure consacrée à la « Clairette de Die », Roos, Directeur de la Station œnologique de l’Hérault, et Rolland, Professeur d’Agriculture et futur Inspecteur général, soutenaient encore que la mise en bouteilles, trop onéreuse, était dépourvue d’intérêt. Néanmoins, vers 1925, quelques viticulteurs prirent la décision d’écouler leur récolte en champenoises richement habillées ; le succès récompensa leur initiative, prouvant ainsi que la qualité du cru justifiait parfaitement cette présentation de luxe qui s’est généralisée depuis.
Dès lors sa réputation s’accroît à juste titre ; en fait, grâce à la délicatesse de son parfum, à la légèreté de ses bulles, à la splendeur de sa teinte ambrée, une bouteille de « Clairette de Die » bien réussie constitue une haute révélation gastronomique.
Sa renommée, autrefois limitée au Dauphiné et au Lyonnais, ne cesse de s’étendre et les meilleurs de nos viticulteurs sont débordés de commandes émanant, non seulement des quatre coins de France et de la capitule mais encore de Belgique, d’Angleterre ou d’Afrique du Nord, Notons que les touristes Américains, qui goûtent à ce mousseux, s’en montrent friands et expriment le désir de voir organiser son exportation outre-Atlantique. Remarquons aussi que, grâce à son cachet spécial, ce cru ne concurrence en rien le Champagne ; certains consommateurs, des femmes en particulier, qui n’acceptent pas les grands vins de la Marne, réclament notre Clairette lorsqu’ils ont appris à la connaître.
Les viticulteurs de cette région, par ailleurs déshéritée, détiennent donc une source de richesse sur laquelle ils doivent jalousement veiller. Or, si une bonne bouteille amène un nouvel acheteur, une seule défectueuse éloigne le client à jamais, aussi les producteurs cherchent-ils à éliminer tout accident de fabrication. Le « secret de fabrication » : soutirer et filtrer sitôt que la mousse parait à la bonde des tonneau. Nous apprendrons bientôt combien il est difficile d’atteindre ce résultat.
Importance économique de la « Clairette de Die »
Les déclarations de récoltes oscillent, pour cette appellation, entre 2.000 et 7.000 hl. selon les années. Sans doute sont-elles sensiblement minimisées ; aussi peut-on considérer 5.000 hl. comme une moyenne voisine de la réalité.
Avec des prix, départ, variant actuellement de 150 à 250 francs la bouteille, cette récolte représente, déduction faite des taxes et du coût des emballages, une ressource d’une centaine de millions qui font vivre près de 2.000 familles c’est-à-dire 8 à 10.000 personnes. On doit espérer, en outre, que lorsqu’une méthode de fabrication parfaitement rationnelle sera mise au point, Muscat et Clairette se substitueront, dans l’aire d’appellation, aux cépages ordinaires ou aux hybrides utilisés pour l’obtention du vin de consommation courante, permettant ainsi, sans modifier le statut viticole, de doubler et peut-être de tripler la production de qualité.
Sa fabrication
Comme pour tous les vins blancs, les raisins de Muscat et Clairette, mélangés ou non, sont pressés dès la récolte. Sommairement débourbé et filtré, le moût est mis en fûts d’un hectolitre environ remplis autant que possible.
La fermentation se déclenche, on l’interrompt aussitôt par un nouveau filtrage. Elle repart, on. l’arrête au plus vite et on répète l’opération aussi souvent qu’il est nécessaire.
Au bout de plusieurs jours, après un nombre variable d’interventions, parfois trois seulement, plus souvent cinq à six, la reprise de fermentation devient moins rapide et finalement, les premiers froids aidant, elle cesse totalement bien que le liquide demeure, encore riche en sucre. On peut alors le conserver ainsi durant plusieurs mois. Tout au long de l’hiver, alors qu’il marque 1030 à 1045 au mustimètre, on le soutire en bouteilles champenoises. – Le mustimètre est un densimètre utilisé par les viticulteurs pour évaluer le taux d’alcool probable de leur vin. On mesure, en réalité la densité du moût : le tableau montre la relation entre densité et taux d’alcool. – On procède au bouchage, à l’agrafage, puis on couche sur laites. Selon les conditions diverses, température de la cave en particulier, la prise de mousse exige de quelques semaines à plusieurs mois. Après un habillage soigné, les bouteilles sont alors livrées au commerce ; toutefois, les bons viticulteurs, de plus en plus nombreux, effectuent auparavant un dégorgeage consécutif à une mise sur pointes au, cours de laquelle s’opère le remuage.
La méthode est donc à la fois bien différente, mais surtout plus délicate que la classique vinification champenoise. Ce qu’il faut absolument empêcher, c’est la réalisation d’une fermentation complète qui modifierait totalement les caractères recherchés.
Qualités recherchées dans la Clairette de Die
On peut les énumérer sans toutefois parvenir à donner une priorité à l’une d’entre elles car toutes demeurent étroitement liées.
1e – Parfum Muscat nettement marqué ;
2e – Douceur (teneur en sucre) convenable ;
3e – Mousse et pression suffisantes, mais sans excès ;
4e – Limpidité aussi parfaite que possible.
A) Comment obtenir le parfum muscat.
A juste titre l’apport de parfums artificiels est exclu des pratiques œnologiques françaises ; c’est donc obligatoirement par l’emploi du cépage spécial que l’on obtiendra ce caractère si apprécié des consommateurs. Mais si cette condition d’encépagement est nécessaire elle n’est nullement suffisante ; le parfum muscat est, en effet, extrêmement instable ; aussi diverses erreurs de vinification risquent-elles de le faire disparaître.
C’est ainsi qu’une exposition du moût à l’air lui paraît néfaste, par suite, sans doute, de phénomènes d’oxydation ; aussi les meilleurs vins muscats résultent-ils d’une fermentation effectuée en fûts soigneusement remplis, mais évidemment non bondés. Ou a également observé que parfum et saveur de Muscat, s’atténuent, parfois jusqu’à disparaître, lorsqu’on laisse la fermentation accomplir totalement son œuvre ; aucune explication de ce fait ne semble avoir été présentée jusqu’à ce jour ; cette disparition paraît même surprenante étant donné que l’alcool s’avère excellent solvant des parfums. Obligé de conserver du sucre résiduaire, le viticulteur surveille ses fûts nuit et jour pour éviter de laisser « sécher » son vin. On pourrait craindre que tant de soin ne fournisse parfois un excès de parfum ou de douceur qui risquât de lasser le consommateur. Ce défaut existe, en effet, dans certains Astis qui empâtent la bouche et évoquent le souvenir de quelque pommade trop parfumée. Peut-être aboutirait-on à pareil résultat si l’on tentait de champagniser l’excellent vin de dessert que constitue le Frontignan.
Rien de tel n’est à redouter avec la Clairette de Die. I.e terroir, la culture, les méthodes de travail interviennent certainement pour une grande part. Toutefois, en très bonnes années, lorsque le Muscat est extrêmement sucré, un faible apport de Clairette peut tempérer l’excès de douceur tout en fournissant la fraîcheur désirable, c’est-à-dire celte acidité dont nul vin mousseux, fût-ce le Champagne, ne peut se passer.
Ce seul motif paraît justifier la tolérance d’une très faible addition de raisin Clairette ; encore faut-il remarquer que les produits les plus cotés sont ceux provenant des communes où seul existe le Muscat. Sans doute, la proportion de Clairette acceptable doit-elle varier selon l’altitude, l’exposition, la nature du sol et surtout l’année considérée. Il est donc probable qu’un judicieux « assemblage », réalisé en cave coopérative, constituera un facteur de qualité.
B) La Douceur
La présence du sucre résiduaire s’avérait indispensable à la conservation du parfum Muscat. Le sucre est également nécessaire au bon équilibre des saveurs ; un muscat mousseux sec ne possède point le même attrait qu’un vin demeuré doux ; de plus, en perdant sa douceur, il contracte parfois une légère amertume analogue, à celle qu’on rencontre dans les fruits du pamplemousse et du cerisier à grappes. Cette saveur n’est pas désagréable, toutefois, elle parait quelque peu étrange ; de cette constatation résulte à nouveau l’obligation d’obtenir l’arrêt prématuré de la fermentation.
C’est vers ce but que tendent essentiellement les pratiques mises en œuvre au cours de la vinification ; collages, soutirages. filtrages répétés. Et pourtant nous ne saurions prétendre que le problème posé depuis des générations ait été parfaitement résolu en dépit de leurs efforts il arrive parfois qu’à leur grand désespoir les viticulteurs volent leur vin « sécher » poursuivre sa fermentation jusqu’à disparition totale du sucre.
Et cependant deux millénaire. ont passé depuis qu’ils obtinrent, pour la première fois, des vins demeurés doux et propres à devenir mousseux naturellement. Depuis lors ,sauf en années froides ou pluvieuses, ils atteignaient généralement le résultat voulu, tout en ignorant les facteurs de leur réussite.
Ce n’est qu’en 1903 que Roos et Rolland apportèrent l’explication de ces pratiques ancestrales. Ils prouvèrent qu’en se multipliant les levures utilisent les composés phosphorés et ammoniacaux du moût pour former leurs cellules et que si, à maintes reprises, on élimine en masse la plupart de ces infiniment petits, un moment arrive où, presque totalement privés de ces composés vivants vivants, les descendants de ceux qui subsistent se trouvent, malgré l’abondance du sucre, dans l’impossibilité de poursuivre leur multiplication.
Ayant en vue exclusivement la recherche du maximum de douceur, les deux chercheurs conseillèrent de favoriser le développement des levures aérobies, grandes consommatrices de phosphates et d’ammoniaque, en substituant aux fûts complètement remplis des cuves ouvertes, peu profondes et largement étalées. Hélas, les praticiens qui suivirent leur conseil s’aperçurent bien vite que l’augmentation de sucre résiduaire était plus que compensée par la perte de parfum imputable, sans doute à une trop forte oxydation.
Avec raison la plupart s’en tinrent donc, à la méthode ancestrale dite encore méthode rurale, laquelle n’est pas sans comporter les inconvénients inhérents au grand nombre de fûts nécessaires, à leur encombrement, à leur coût, à leur entretien fort onéreux.
Jusqu’à ce jour aucune autre solution n’est entrée dans la pratique, toutefois, on peut espérer que, dans une fabrication modernisée, en cave coopérative par exemple, le recours au froid naturel ou artificiel, autorisera l’usage de cuves plus vastes, plus économiques, moins encombrantes.
C) La pression
On a déjà indiqué que, pour obtenir une mousse convenable, la mise en bouteilles s’effectue lorsque le vin marque environ 1035 au mustimètre. Il est toutefois regrettable qu’il ne soit pas, suffisamment tenu compte de la richesse en alcool, facteur important de solubilité du gaz carbonique et élément modérateur de la multiplication des levures.
Sauf par le réchauffage des caves, fort rarement appliqué, les viticulteurs ne peuvent favoriser le départ de la fermentation secondaire ; aussi en sont-ils parfois réduits à procéder à une remise en cercles pour effectuer levurage ou phosphatage qui peuvent se révéler utiles. Il est indéniable que des dosages préalables précis ceux du P3H5 et d’AZ H3 en particulier, supprimeraient probablement cet aléa.

A Barsac une belle plantation protégée des vents par les montagnes.

Parfois, au contraire, nos vignerons se trouvent dans l’impossibilité de modérer une fermentation trop active qui nuit à la douceur et provoque une casse excessive des bouteilles ou l’arrachage des agrafes. L’existence de locaux réfrigérés pourrait donc, une fois encore, être d’un grand secours bien qu’elle ne suffise pas à supprimer, après sortie des caves, les conséquences d’un excès de pression.
D) La limpidité
Les connaisseurs locaux de la Clairette de Die n’ignorent pas que, le trouble plus ou moins important, apparaissant au sein de certaines champenoises, résulte de la présence de levures qui ne diminuent nullement la saveur ou le parfum du vin.
Mais plus exigeant se montre le consommateur non averti ; avec ce dernier, reconnaissons d’ailleurs que le rôle de La vue n’est point négligeable au cours de la dégustation ; l’œil se plaît à suivre le dégagement des bulles, à admirer la couleur or du liquide, aussi serait-il regrettable que le moindre louchissement, la moindre opalescence, vinssent ternir sa transparence. Très méritoire est donc l’effort des quelques vignerons qui, depuis peu d’années, ont introduit dans la région pratique du dégorgeage après mise sur pointes et remirages ; félicitons-le de vouloir bien sans égoïsme de former leurs voisins à ce délicat travail.
Ici, nous ne nous trouvons pas comme en Champagne en présence de levures mortes faute de sucre ou très affaiblies par la vieillesse survenue durant plusieurs années de conservation, en présence d’importantes doses d’alcool. Nous avons affaire à des levures jeunes qui en dépit d’un indéniable état de souffrance imputable à la rareté des phosphate et des composés azotés, conservent suffisamment de vitalité pour reprendra, plus ou moins lentement, leur multiplication lorsque d’autres facteurs deviennent favorables.
Or. à juste titre, la législation prohibe l’emploi dés antiseptiques, benzoate de soude par exemple ; elle interdit également l’usage de la cuve close qui, en permettant la stérilisation ou la filtration sous pression, constituerait une solution de facilité. Pour divers motifs nous ne pouvons guère compter sur l’efficacité des procédés basés sur l’utilisation de rayonnements divers ou d’ultrasons.
Sans doute un enrichissement du vin en alcool obtenu soit par chaptalisation, soit par addition d’une liqueur d’expédition, rendrait-il des services, surtout en année de maturation difficile mais reste à savoir si nul inconvénient en résulterait.
Moins aléatoires semblent être les espérances sur un vieillissement de plusieurs années opéré en cave réfrigérée. Certes, nous n’ignorons pas qu’avec le temps le parfum muscat s’atténue et qu’une Clairette de Die n’est jamais aussi bonne que lorsqu’elle se présente bien à point, quelques semaines après dégorgeage, mais n’oublions pas que, jusqu’à ce jour, les dégustations ont été effectuées sur échantillons conservés à température normale ; aussi est-il possible, sinon probable, que les résultats apparaissent tout autres lorsque le vieillissement s’opérera à basse température.
Malheureusement, il est incontestable qu’un vieillissement d’une durée comparable à celle d’un bon Champagne présenterait l’inconvénient d’accroître sérieusement le prix de revient et, par là même, d’éloigner certains consommateurs.
Aussi est-on amené à envisager une méthode plus rapide de suppression des levures ; la pasteurisation à température modérée 60° environ, soit avant, soit après le dégorgeage. S’il s’avère que ce réchauffement est sans effet nuisible sur la qualité du vin, sur son parfum surtout, il faudra alors se préoccuper de savoir s’il existe, ou si l’on peut mettre au point, un appareillage de prix abordable permettant d’effectuer le travail sans entraîner une casse considérable. Il s’agit, dans ce but, d’obtenir le relèvement de température voulu tout en appliquant sur la paroi externe des champenoises la contre-pression de de 20 à 30 kg qui parait nécessaire pour compenser, à la température de 60°, l’importante tension du gaz carbonique dans la bouteille. D’ores et déjà, il semble que des essais pourraient être tentés à l’aide d’un matériel de fortune
Conclusion
Bien que volontairement abrégée, cette étude montre combien apparaissent complexes et délicats les problèmes que posent l’examen d’un sujet qui semble apparemment connu si l’on s’en tient aux indications superficielles de la plupart des manuels.
Plus on étudie la fabrication de la Clairette de Die, plus on est frappé par l’importance des différences de technique existant avec celle du Champagne.
Cette dernière paraît relativement simple puisqu’en résumé elle consiste à laisser la fermentation primaire accomplir complètement son œuvre, en confiant ensuite au chimiste le soin d’apporter, sous forme de liqueur de tirage, puis de liqueur d’expédition, les quantités d’alcool complémentaire et de sucre exigées par la levure, puis désirées par le consommateur.
Rien de tel pour notre mousseux muscat de Die ; la tache est infiniment plus nuancée, et l’on ne peut qu’être surpris de voir nos adroits vignerons obtenir si souvent avec les moyens rudimentaires dont ils disposent des produits remarquables.
Il semble bien toutefois, qu’ils soient arrivés maintenant aux limites de leurs possibilités individuelles. Seules les recherches scientifiques et la mise en œuvre de moyens industriels importants permettront, à l’avenir, de rationaliser cette vinification et de fournir des mousseux délicieux et surtout de qualité constante.
Les viticulteurs l’ont compris ; aussi murs d’une coopérative vont-ils sortir de terre. Espérons qu’avec l’aide des œnologues de l’École de Viticulture . Montpellier et des Stations de Recherches, elle nous donnera de façon suivie des muscats aussi fins et aussi parfumés que ceux préparés, lors des années bien réussies, par les plus adroits de nos praticiens.
Et sans doute, par un curieux retour vers la méthode antique, demandera-t-elle à nouveau, mais sur une échelle bien plus considérable qu’il y a deux mille ans, le secours du froid. Rafraîchissement des moûts en vue du débourbage, refroidissement ralentisseur de la fermentation, climatisation pour la conservation en fûts, puis en bouteilles, congélation pour le dégorgement, température voisine de zéro pour le stockage, telles seront les possibilités à attendre de la présence d’un groupe générateur de frigories qui, ajoutant dans les caves son action à celle provoquée par un abondant ruissellement d’eau fraîche en été, ou d’une violente circulation d’air glacé en hiver, se révélera sans doute, sinon plus économique, du moins plus efficace que l’immersion des fûts dans les torrents, pratiquée, il y a 2000 ans, par les précurseurs Voconces.

Sources :
- Cahier des charges de l’appellation d’origine contrôlée « Clairette de Die » homologué par décret n° 2011-1156 du 22 septembre 2011 et modifié par décret n° 2013-903 du 9 octobre 2013 publié au JORF du 11 octobre 2013 – PNO-CDC-AOC-Clairette-de-Die.pdf
- https://musee-boissons.com/pages/za_clairette_die.html