LA FABRICATION DU PAPIER EN 1834

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La fabrication du papier en 1834





On a réussi à fabriquer du papier avec une foule de substances diverses. Nous ne parlerons ici que de celui qu’on fait avec les chiffons de vieux linge, en chanvre, en lin ou en coton. Pendant longtemps la matière première n’a pas réellement manqué aux papeteries ; mais aujourd’hui l’immense consommation de papier qui a lieu dans tout le monde connu et, la contrebande qui exporte une énorme quantité de chiffons à l’étranger, ont rendu cette matière assez rare pour maintenir le papier à un prix beaucoup plus élevé que ne semblerait le comporter l’économie introduite dans les procédés de fabrication.

Lorsque les chiffons sont arrivés à la manufacture de papier, des femmes les trient et les séparent en différents lots, soit d’après le degré de blancheur ou de finesse de la toile, soit d’après leur usure plus on moins grande, condition plus essentielle que la première pour avoir des papiers bien homogènes. Placées devant une table recouverte d’une toile métallique, ces femmes y frappent d’abord le chiffon pour en séparer la poussière qui tombe à travers cette toile dans une boîte placée par dessous ; puis, au moyen d’une lame tranchante fixée verticalement sur la table, elles découpent le chiffon en petits morceaux de trois à quatre pouces carrés, en ayant soin de n’y laisser ni ourlets ni coutures.

Dans quelques papeteries on fait encore usage des pourrissoirs, espèces de cuves humides où l’on porte les chiffons, qu’on arrose de temps en temps pour leur faire subir sue fermentation qui est fort nuisible à la santé des ouvriers.

Le procédé qu’on y a substitué consiste à déchirer le chiffon par divers moyens mécaniques, dont chaque papeterie conserve encore le secret.

Dans quelques fabriques, anciennement construites, les chiffons sont ensuite portés sous d’énormes maillets qui, mis en mouvement par une roue hydraulique, les réduisent en pâte. Dans les établissements plus récents, on emploie le cylindre représenté dans la figure ci-dessous.




A est une caisse en bois ou en métal, d’environ 10 pieds de long, 4 pieds et demi de large, et de 2 pieds de profondeur; B est une cloison longitudinale; C un axe en fer, portant à une de ses extrémités un pignon qui engrène avec une plus grande roue qu’on ne voit pas dans la figure, et qui est mise en mouvement par un moteur quelconque. à cet axe C est fixé le cylindre qui occupe l’intervalle entre la cloison B et le bord de la caisse, et qui a environ 20 pouces de diamètre; la circonférence en est garnie de lames métalliques. On peut, au moyen d’un mécanisme particulier, le rapprocher plus ou moins du fond de la caisse, qui, elle-même, porte des lames semblables à celle du cylindre. Enfin D est un appareil destiné à amener de l’eau pure dans la caisse et à en extraire l’eau salie par les chiffons. Le cylindre étant mis en mouvement avec une vitesse d’environ 420 tours par minute, on jette une certaine quantité de chiffons dans la caisse, où ils sont entraînés avec une grande rapidité par les lames du cylindre, qui les déchirent et les déposent sur le plan incliné E, formé d’une toile métallique, à travers laquelle l’eau salie s’écoule pendant que le tuyau D fournit de nouvelle eau pore à la caisse. La pâte produite par ce premier passage n’est pas encore assez fine pour être employée : on la porte à un autre cylindre plus rapproché du fond de la caisse, ou bien on lui fait subir un nouveau passage en abaissant davantage le premier cylindre. Cette opération se répète jusqu’à trois fois. Dans cet état la pâte est bien lavée, mais elle conserve encore une couleur qui dépend de celle qu’avaient les chiffons. Il s’agit de la blanchir. Dans ce but, on la met en presse pour lui enlever la plus grande partie possible de l’eau qu’elle contient; on la place ensuite dans un réservoir hermétiquement fermé, où l’on fait affluer, au moyen de tuyaux, du chlore gazeux, qu’on obtient par l’application de la chaleur à un mélange, dans les proportions convenable, de peroxyde de manganèse, de sel commun et d’acide sulfurique. Au bout de quelques heures, le chlore a entièrement décoloré la pâte, qu’on fait ensuite repasser une ou plusieurs fois sous les cylindres, tant pour en séparer le chlore que pour la diviser davantage; la pâte en alors prête à être transformée en papier.

Deux procédés sont employés pour y parvenir ; l’un à la main , que nous allons décrire; et l’autre à la mécanique.

Procédé à la main

En examinant la gravure ci-dessous, on y voit un homme qui plonge une espèce de cadre dans une cuve. Cette cuve est remplie de pâte, dont la fluidité plus ou moins grande détermine l’épaisseur de la feuille de papier.




Le cadre que tient l’ouvrier se nomme une forme ; il se compose d’un châssis en bois, recouvert d’une toile métallique, en fils de cuivre qui sont placés en long, et dont les traces, que l’on aperçoit sur la feuille de papier quand on regarde le jour au travers, s’appellent des vergeures. Ces fils sont soutenus, de distance en distance, par d’autres fils plus gros, placés en travers, et dont les traces prennent le nom de pantusseaux. Enfin la marque du fabricant est figurée sur la forme par d’autres fils de cuivre, auxquels on donne le nom de filigranes, et qui laissent aussi leurs traces sur le papier. Sur les bords de la forme s’applique un autre cadre mobile, en tôle, appelé frisquette , dont l’épaisseur, conjointement avec le plus ou moins de liquidité de la pâte, détermine l’épaisseur de la feuille de papier et dont les autres dimensions déterminent la longueur et la largeur de cette même feuille. L’ouvrier, qu’on appelle l’ouvreur, ayant posé la frisquette sur la forme, plonge la forme dans la cuve, l’y dispose horizontalement , et la retire dans cette position; alors il la secoue légèrement en la maintenant toujours horizontalement, et la pâte qui s’élève au-dessus des bords de la frisquette retombe dans la cuve, tandis que l’eau qu’elle contient passe à travers les vergeures de la forme. On conçoit qu’il faut à l’ouvreur une grande habitude du maniement de la forme pour étendre ainsi régulièrement la pâte sur toute son étendue, avant qu’elle ait perdu assez d’eau pour pouvoir se répandre uniformément. L’ouvreur pousse ensuite la forme sur un plan incliné, placé au bout de la cuve, et prend une autre forme sur laquelle il pose la même frisquette qu’il a enlevé à la première, et recommence une nouvelle feuille. Pendant ce temps un autre ouvrier, appelé le coucheur, prend la forme abandonnée par l’ouvreur, et la renverse sur un morceau de drap appelé flotre ou blanchet: la feuille se détache facilement de la forme, reste sur le morceau de drap, et est recouverte par un autre blanchet prêt à recevoir une autre feuille. Les deux ouvriers procèdent ainsi successivement se passant, tour à tour, la forme chargée d’une feuille et la forme vide, jusqu’à ce qu’ayant accumulé ainsi entre les blanchets un certain nombre de feuilles, formant un porse , on porte le tout sous une presse pour en faire sortir l’eau le plus possible. Des femmes séparent alors les flotres des feuilles, et placent celles-ci les unes sur les autres. En cet état, on le presse encore fortement, puis on les met sécher par portions sur des cordes on des tringles de bois. Lorsqu’elles sont sèches, on les colle, si le papier doit servir à l’écriture, en les plongeant, un certain nombre à la fois, dans une colle très claire de peau de gants; on les remet encore en presse pour forcer la colle à pénétrer également partout ; on les fait de nouveau sécher, puis les met en mains de 24 ou 25 feuilles, et enfin en rames de 20 mains.

Dans quelques papeteries on colle la pâte elle-mème; mais ce procédé n’est pas encore répandu partout.

Procédé mécanique

Ce procédé n’a été introduit en France qu’en 1814 et 1815, quoiqu’il y eût été inventé seize ans auparavant; par suite d’entraves et d’embarras de diverses sortes, ce fut d’abord chez nos voisins qu’il fut perfectionné et pratiqué ; et encore aujourd’hui toutes ou presque toutes nos machines à fabriquer le papier ont été apportées d’Angleterre. L’une d’elles fonctionne avec le plus grand succès à Saint-Maur, près Paris, dans la belle manufacture de M. Montgolfier aîné.

Nous essayerons de faire connaître l’opération rapide, mais compliquée, qui convertit la pâte en un papier continu ; mais comme dans ce qui est relatif à la mécanique, les descriptions ne suppléent qu’imparfaitement à l’examen des machines, nous réclamons toute l’attention du lecteur, même avec le secours d’une gravure.

A l’une des extrémités d’une longue série de roues, nous voyons un courant de pâte, ayant à peu près la consistance du lait, tomber sur un plan mobile, et à l’autre extrémité cette pâte, devenue papier parfait, s’enrouler amour d’un cylindre. Suivons les diverses périodes de cette opération.

La gravure représente en A un réservoir rempli de pâte, remuée sans cesse par un agitateur, et maintenue constamment à la même hauteur par un autre réservoir que ne représente pas la figure. Au-dessous est la cuve B dans laquelle la pâte s’écoule, et où elle conserve aussi un niveau constant; de là elle tombe en nappe régulière dans un chéneau C qui a un mouvement de va et dent, et qui la distribue avec une régularité parfaite sur une toile métallique sans fin, dont la partie supérieure, désignée par les lettres EEEE, présente une surface plane. Cette toile se meut graduellement de gauche à droite, et entraîne successivement dans la même direction la pâte qui y est répandue; elle a, comme le cheneau C, un léger mouvement de va et rient horizontal qui facilite l’écoulement de l’eau. Si nous touchons la pâte à l’extrémité du plan où elle est reçue, nous la trouvons fluide; à son autre extrémité elle a déjà la solidité du papier mouillé. La pâte ne peut pas s’écouler par les bords de la toile métallique, parce qu’il y a deux lanières de cuir qui règlent la largeur de la feuille, et font l’office de la frisquette dans la fabrication du papier à la main ; elles sont indiquées, dans la gravure, par la lettre F. Après avoir dépassé les poulies sur lesquelles s’enroulent ces lanières, le papier .est suffisamment formé pour n’avoir plus besoin d’être limité par elles, car la pâte a cessé d’être fluide ; mais elle est encore humide et peu consistante, et elle conserve les traces de la pression qu’exerce sur elle le cylindre G. Le papier pas encore quitté la toile métallique sur laquelle il s’est formé; avant de s’en séparer, un cylindre I, garni d’étoffe, et sur lequel coule constamment un filet d’eau froide, lui fait subir une nouvelle pression; là il est reçu sur une pièce d’étoffe qui est destinée à en absorber l’humidité, et qui, comme la toile métallique, s’enroule sur deux cylindres pour former une nouvelle toile sans fin dont la surface supérieure forme un plan incliné. Il est ensuite saisi entre deux rouleaux L, garnis d’étoffe, qui le pressent fortement, et passe sur un nouveau plan, au sortir duquel il est encore comprimé entre deux nouveaux rouleaux M égale-ment garnis d’étoffe. C’est alors qu’il entre dans la région de la chaleur. En cet endroit, il est tout-à-fait formé; mais il est fragile et humide. Reçu sur un petit cylindre N, il est dirigé par lui sur la surface polie d’un gros cylindre échauffé O : là, il commence à fumer; mais la chaleur est proportionnée à sa consistance toujours croissante. Du premier cylindre il s’enroule sur un second P, d’un diamètre beaucoup plus grand, et qui est beaucoup plus chaud; à mesure qu’il passe sur cette surface polie, on voit disparaître les irrégularités. Enfin, après avoir tourné sur un troisième cylindre Q encore plus chaud, et avoir subi la pression d’un rouleau supérieur, un dernier rouleau R le dirige sur le dernier cylindre S, où il se trouve terminé, et enroulé.

Nous avons maintenant un immense rouleau de papier, dont la longueur n’est limitée, pour ainsi dire, que par la volonté du fabricant. Il faut le découper pour avoir des feuilles propres aux divers besoins de la société : on imagina de le trancher sur le rouleau lui-même; mais il en résulte des feuilles de grandeurs très inégales. Aujourd’hui on emploie à cet usage une machine due à un ingénieur de Londres, M. Edouard Cowper.

Deux minutes suffisent pour rendre le papier parfait, à partir du moment où la pâte s’écoule sur la toile métallique, et celle-ci marche avec une vitesse qui fournit environ vingt-trois pieds carrés de papier par minute. Si nous nous rappelons la fabrication à la main, nous verrons que jusqu’à la formation de la pâte le procédé est le même. Dans le papier à la main, l’ouvreur plonge sa forme dans la cuve, et produit une feuille molle, d’une épaisseur uniforme, an moyen de cette délicatesse de tact qui constitue le bon ouvreur; mais comme cette régularité dépend de la dextérité de l’ouvrier, elle doit nécessairement être variable. Quant au papier à la mécanique, son épaisseur est réglée par la quantité de pâte qu’on laisse écouler de la cuve pendant un temps donné, et par la régularité du mouvement de va et vient imprimé au cheneau C et à la toile métallique E. Il suffit, pour rendre cette épaisseur invariable, de donner à tout l’appareil une vitesse constante.




Dans le papier à la main, les deux surfaces de la feuille ne présentent aucune différence sensible. Il n’en est pas ainsi dans le papier à la mécanique, l’un des deux côtés est plus rugueux que l’autre; la plume n’y coule pas avec facilité, elle y produit un grattement qui éparpille l’encre, et fait encore donner la préférence, pour l’écriture, au papier à la main. Ce défaut provient de l’emploi du rouleau G, qui , comme on l’a vu, presse la pâte contre la toile métallique, et lui fait prendre une empreinte ineffaçable : ce cylindre G est nécessaire, il donne au papier assez de force pour quitter la toile métallique sans se déchirer, et l’on a été obligé de le conserver dans toutes les machines qui fonctionnent aujourd’hui (en 1834).


Source : article paru en 1834 dans la revue « Le Magasin Pittoresque »

 

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