LES DEMOISELLES DU TELEPHONE

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Les demoiselles du téléphone

 

 

 

 

L’histoire des téléphones commence en 1876 avec le premier système de communication électrique. A l’époque du télégraphe Chappe et du courrier postal, il constitue une évolution majeure.

Le 1er septembre 1878, aux USA, la Boston Telephone Dispatch engagea EmmaNutt. C’était la première femme opératrice.

Une « demoiselle du téléphone » était une personne qui actionnait un standard téléphonique pour établir les communications entre usagers dans les premières décennies de la téléphonie. Presque exclusivement féminin (certains hommes faisaient la nuit), ce métier a employé un personnel nombreux et qualifié, jusqu’à 30 000 personnes à travers le pays. Ces jeunes filles téléphonistes, ont largement participé à l’histoire de la communication par téléphone. En fait, qui étaient-elles vraiment ?

 

 

Les critères de sélection

 

 

D’après la circulaire du 31 janvier 1924, les employées devaient avoir : « un système respiratoire en parfait état, système circulatoire normal, appareil digestif normal, bonne denture, nez, pharynx et larynx en parfait état, voix claire, bien timbrée, non nasillarde, aucune infirmité physique, apparente ou cachée, absence de difformité ou de cicatrice disgracieuse à la face, bonne constitution ».

Ces « demoiselles du téléphone », affectée dans des centraux téléphoniques, étaient exclusivement de jeunes filles célibataires. C’était d’ailleurs un critère éliminatoire pour le recrutement, outre l’éducation et la morale. Si une opératrice venait en effet à se marier, elle pouvait perdre son travail, et c’était généralement le cas pour la plupart d’entre elles à cette époque. En réalité, beaucoup de femmes cessaient de travailler après s’être mariées. Seuls quelques hommes ont exercé la profession, ils faisaient les heures de nuit, car une fille bien doit être au lit le soir venu !
On exige d’elles une discrétion absolue car elles sont au courant de tout ce qui se passe en ville, au niveau des affaires publiques mais aussi privées, voire très très privées.

 

 

Fonction et équipement

 

 

Avant l’automatisation des téléphones, pour joindre son correspondant, il fallait actionner la manivelle du téléphone pour accéder à une demoiselle et lui donner l’identifiant et le nom de la personne à contacter. L’hôtesse faisait alors le lien avec le correspondant ou avec une autre hôtesse si la personne à joindre n’était pas sur le même central.

Au début les centres possédaient peu d’abonnés, elles travaillaient debout devant un tableau à prises jack (« meubles ») et étaient équipé de  » dicordes » (cordons équipés de connecteur à chaque extrémité) qui leur servaient à établir la connexion entre les abonnés. Avec les années, l’augmentation des abonnés et des centres urbains, elles travaillaient assises mais devaient souvent se lever pour atteindre certaines positions de fiches. La réunion de ces meubles raccordés devient un « multiple » comme il était appelé rassemblait plusieurs milliers d’abonnés au même endroit.

  • Un multiplie est un immense meuble de 50 il 60 mètres de long devant lequel se trouvent placées côte à côte une centaine de demoiselles. A ce meuble aboutissent les lignes des abonnés. Un multiple peut en recevoir dix mille. Sur le meuble et devant chaque téléphoniste sont placés les organes qui servent à recevoir les appels des abonnés, ceux qui servent à les sonner et enfin ceux qui servent à les relier entre eux. Chaque ligne d’abonné, constituée par deux fils, aboutit à un annonciateur. Celui-ci apparaît quand on appuie sur le bouton ou quand on tourne la manivelle d’un appareil magnétique (une magnéto). Aussitôt la téléphoniste prend devant elle un cordon terminé par une fiche, enfonce cette fiche dans un trou appelé jack qui est celui de l’abonné appelant, et elle abaisse son levier dit « clé d’écoute » correspondant. C’est alors qu’elle prononce le réglementaire  » j’écoute « . L’abonné énonce alors le numéro du fil au bout duquel se trouve la personne avec laquelle il veut correspondre la demoiselle répète ce numéro afin qu’il n’y ait pas d’erreur d’audition, et elle procède à la mise en communication des deux lignes, appelante et appelée, au moyen du cordon dent elle s’est servie une première fois.

 

 

L’équipement de la téléphoniste

 

 

Les téléphonistes sont équipées d’un casque, d’une prise reliant au standard, d’un micro style entonnoir et d’un contrepoids. Chaque téléphoniste gère une centaine d’abonnés, donc autant de prises (jacks). Les cadences sont souvent importantes.

Les téléphones ne disposent pas d’un cadran mais seulement d’une magnéto à manivelle pour appeler l’opératrice. L’abonné est alors mis en relation avec une opératrice à laquelle il donne le numéro demandé ainsi que le central dont il dépend. Deux cas de figure peuvent alors se présenter :

  • soit le correspondant est sur le même central et l’opératrice connecte directement la ligne ;
  • soit le correspondant dépend d’un autre central et l’opératrice branche alors la ligne sur un autre central où une autre « demoiselle du téléphone » prend le relais.

 

L’opération se résume ainsi :

• l’abonné décroche son téléphone et tourne la manivelle.

• l’opératrice voit le volet d’appel de l’abonné « chuter ».

• elle branche son casque sur le circuit de l’abonné, demande le numéro du correspondant.

• s’il s’agit d’un abonné de son secteur, elle appelle directement ce correspondant, et met les deux abonnés en relation en branchant les deux fiches Jack d’un « dicorde’

• s’il s’agit d’un abonné d’un autre secteur, ou d’un autre central, elle appelle l’opératrice correspondant à ce central et lui transmet la demande. Elle relie alors l’appelant sur un circuit auxiliaire (le multiple) qui le renvoie vers la nouvelle opératrice, qui se charge du reste de l’opération.

Le fait que chaque opératrice ai un secteur géographique attribué fait naître des complicités avec les abonnés. C’est pourquoi l’administration modifie l’attribution des secteur régulièrement.

 

 

Conditions de travail

 

 

Elles sont debout au tout début puis assises en face d’un immense tableau, c’est seulement à partir du 1er janvier 1890 que les premières positions de travail assises des opératrices sont mises en service pour la première fois en France par l’Administration au fur et à mesure des meubles et chacune d’elles a mission de servir une centaine d’abonnés. La tension d’esprit qui résulte de leurs fonctions et la rapidité avec laquelle elles sont quelquefois obligées d’opérer déterminent chez elles un état nerveux qui ne permettrait pas d’augmenter leur temps de présence à l’appareil sans nuire à leur santé déjà bien ébranlée par ce dur service. Les appels pouvaient être incessants particulièrement en heure de pointe malgré le faible nombre d’abonnés.

Elles accomplissaient leur tâche sous la férule d’une surveillante qui, en cas de d’indiscipline, dressait un «  procès-verbal ». Pour aller aux toilettes, il faut lever le doigt et attendre l’autorisation de la surveillante.

 

 

Crédit photo : http://jean.godi.free.fr/

 

 

Après la nationalisation du téléphones en 1889 avec 11 000 abonnés, est ouvert le premier concours pour l’admission des téléphonistes le 1er février 1890, suivi d’un autre le 7 août puis au autre en 1891.

Le temps de travail ne doit pas dépasser 12 heures. En 1892 ce sera limité à 11 heures pour les femmes et le repos hebdomadaire n’est pas appliqué aux femmes

En 1894 vient d’ouvrir au 66 de la rue Jean-Jacques Rousseau, près de l’Hôtel des Postes, un restaurant de Dames, plus justement une pension de famille, pour que ces nombreuses femmes et jeunes filles puissent prendre les repas qu’un travail constant empêche de rejoindre leurs lointains logis. Chaque jour, au nombre de cent cinquante environ, elles viennent là, dans une salle qui leur est réservée, prendre leurs repas pour un prix minimum de 70 centimes.

Dans les années 1900, pour les femmes pas plus de 11 heures de travail journalier effectif coupé par un ou plusieurs repos dont la durée totale ne pourra être inférieure à 1 heure et elles disposaient de congés payés d’un mois, de tarifs réduits pour les billets de train et une doctoresse est à leur disposition. En cas de maladie elles touchent la moitié de leurs appointements. En 1904, la journée de travail est fixée à 10 heures et leurs émoluments sont de 1000 francs au début, avec, en sus, à Paris, 250 francs par an de frais de séjour et une légère indemnité de repas. Tous les deux ans environ, on les augmentent de 200 francs, et elles arrivent ainsi au maximum, qui est de 1800 francs.

En 1901, les téléphonistes n’ont qu’un dimanche tous les 15 jours, cette liberté bimensuelle est subordonnée à la présence du personnel au complet. Dans les moments ou les congés sont fréquents, les libertés sont supprimées.

En 1905, on comptera pour 40 000 à Paris. Au cours des 10 années précédentes le nombre d’opératrices n’a augmenté que de 2500 alors que le nombre de communications est passé de 45 à 220 millions. La première école pour les demoiselles du téléphone est créée et située dans les locaux du Central Passy, à Paris. Une partie des cours est théorique notamment sur l’électricité et sur les divers systèmes de téléphones et l’autre partie est pratique sur les commutateurs. Elles apprennent le règlement et l’attitude sur 15 jours ; celles qui ne correspondent pas, sont envoyées vers les services de la Poste.

En 1905, la Société Coopérative d’Habitations à Bon Marché fonde « La Maison des Dames des Postes, Télégraphe et Téléphones », afin de procurer un logement décent aux employées célibataires des postes. Avec l’aide de Gaston Menier, propriétaire d’une chocolaterie, la société achète en 1906 un terrain rue de Lille (7e arrondissement ) où elle fait construire par l’architecte Emile Bliault un immeuble de six étages comprenant cent-dix chambres individuelles meublées destinées aux demoiselles du téléphone. Dans cette maison, la décoration des parties communes était soignée, typiquement dans le style Art nouveau.

 

 

Crédit photo – http://jean.godi.free.fr/histoire/demoiselledutelephone.htm

 

 

En 1909, une grève est déclenchée au central télégraphique de Paris pour des questions d’avancement et de mauvaises conditions de travail, elle durera 10 jours et en 1926, elles demandent davantage d’égalité entre les hommes et les femmes, notamment sur les salaires.

Pendant la Seconde Guerre mondiale, les femmes sont majoritaires au sein du personnel puisque les hommes sont à la guerre. Tandis que progressivement, la Résistance se met en place dans le secteur, les demoiselles du téléphone, dans les campagnes, préviennent ou favorisent les liaisons des maquis.

A partir de 1944 ,améliorations des conditions avec un nouveau bureau, meuble type F.M avec « multiplage », permettant de faire face au nombre d’abonnés. Il est étudié sur mesure pour les opératrices afin d’offrir une meilleure ergonomie, avec des chaises tournantes dans les grands bureaux. D’autres aménagements sont envisagés notamment contre le bruit. Les demoiselles du téléphone sont déchargées de la rédaction du ticket et de surveiller la durée de la communication.

En 1946, la durée de travail au téléphone se situe entre 42 heures et 48 heures par semaine, alors que la loi Croizat promulgue un retour aux 40 heures par semaine.

 

 

En 1970 – Crédit photo :www.ladepeche.fr/

 

 

La réputation

 

 

Les demoiselles du téléphone ont subi le double mal d’une insuffisance, d’une médiocrité du matériel et d’une incapacité, tant commerciale que technique, des chefs.

Dans leur vécu au travail, on ne peut pas vraiment dire qu’elles aient eu la vie facile. Effectivement, elles étaient souvent victimes du mécontentement des clients, qui étaient constitués essentiellement de gens riches et d’ entrepreneurs qui ne supportent pas que le « petit personnel » ai autant d’influence sur leur affaires et qui se souciaient plus de leurs affaires que des « états d’âme » de leur interlocutrice exerçant un métier plein de contraintes. On blâmait particulièrement les demoiselles du téléphone pour leur lenteur dans la mise en communication et leur tempérament jugé parfois colérique. Pourtant, des concours d’efficacité sont organisés pour améliorer la qualité du service: on met en compétition des opératrices pour assurer le maximum de connexions à l’heure. Les records sont de l’ordre de 400 établissement de connexion / heure, qui correspond à une communication toute les dix secondes.

 

 

Un des procès entre l’Administration et un abonné

 

 

En avril 1904, l’actrice Sylviac se plaint, auprès de la surveillante d’un central téléphonique de Paris qu’elle a dû attendre 55 minutes pour obtenir une réponse, tandis que la communication n’aboutit pas. Elle lui déclare que les demoiselles « s’expriment comme des vachères ». L’administration des Postes et télégraphes porte plainte pour « outrage à un fonctionnaire dans l’exercice de ses fonctions » et « imputation calomnieuse » et interrompt son abonnement pour 17 jours. Deux procès vont suivre. Dans le premier, en correctionnelle, Sylviac est acquittée. Dans le second, qui va jusqu’au Conseil d’État, elle ne réussit pas à obtenir ni le remboursement de son abonnement pendant la période concernée, ni l’abrogation de l’article 52 du règlement qui autorisait la coupure des communications ; cependant, l’administration du téléphone cesse de l’utiliser. L’affaire fait l’objet de centaines d’articles, dans les quotidiens ou hebdomadaires nationaux et en province, ainsi que dans des revues juridiques, y compris au plan international. Sylviac, qui était défendue par l’Association des abonnés au téléphone, est présentée comme une héroïne voire comme une nouvelle Jeanne d’Arc. La procédure engagée permit de reconnaître que les employés du téléphone étaient chargés d’un service public.

 

 

La fin du téléphone manuel

 

 

La France décide au début 1970 d’étendre les capacités de son réseau. Des innovations technologiques font leur apparition comme la commutation électronique temporelle. Les anciens centraux automatiques étaient basés sur deux principes :

• le système électromécanique Rotary

• le système électromécanique CrossBar

Ces deux systèmes sont efficaces, mais terriblement fragiles. Ils nécessitent un entretien régulier (réglages de précision des relais) fait par un personnel qualifié. Les pannes sont nombreuses, et le coût d’exploitation élevé. Le commutateur électronique supprime ces inconvénients, en améliorant les temps d’acheminement de l’appel. Le premier central électronique est le El. Il ne sera détrôné qu’avec l’arrivée du réseau intégralement numérique, le RNIS.

Le dernier système électromécanique français (un crossbar Pentaconta 1000) de Givors, est basculé sur un central électronique fin 1994.

Le réseau téléphonique a terminé d’être complètement automatisé et les demoiselles des téléphones ont définitivement disparu.

 

 

 

 

Sources

  • www.l2l1.com/hist.htm
  • www.racontemoilhistoire.com/2018/08/les-demoiselles-du-telephone-sexisme-cadence-infernale/
  • www.fr.m.wikipedia.org/wiki/Demoiselle_du_téléphone_(France)
  • www.fr.m.wikipedia.org/wiki/Standard_téléphonique
  • www.jean.godi.free.fr/histoire/demoiselledutelephone.htm
  • www.jean.godi.free.fr/histoire/reseaudeparis.htm

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