MOULINS BANAUX ET DROIT D’EAU

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Moulins banaux

 

Un aperçu succinct sur la banalité des moulins de quelques régions et sur le droit d’utiliser l’eau sous l’Ancien Régime suivant plusieurs sources.

 

Autour de l’An Mil

 

Pendant les IX ème et X ème siècles de petits moulins rustiques à roue horizontale sont construits en Europe par des communautés de paysans : chacun ayant droit à un certain nombre de jours et de nuits de mouture.

Dès le milieu du X ème siècle et au XI ème siècle surtout, les seigneurs se mettent à édifier des moulins mieux construits, à meilleur rendement, dont certains à roue verticale. C’est l’époque de la reconstruction des vieux donjons et palissades de bois transformés par les seigneurs en châteaux forts aux donjons et remparts de pierre. C’est aussi la naissance de ce que l’on peut appeler « le machinisme médiéval » qui est au développement des techniques ce que la révolution néolithique fut au développement de l’agriculture. La meunerie traditionnelle va profiter de cet élan, offrant une originalité sans pareille, par sa polyvalence, son omniprésence et la très grande variété des formes aussi bien adaptées aux sites qu’aux besoins des populations.

Pour en tirer un bénéfice maximum, les seigneurs qui sont en train de mettre en place les structures de la féodalité, usent de tous les moyens de pression pour obliger les paysans à venir moudre dans leurs moulins et percevoir ainsi une redevance générale sur la mouture des grains. Au milieu du XI ème siècle, la meunerie devient de ce fait une activité spécialisée de haut rapport. On assiste à cette époque au passage d’un régime de mouture populaire communautaire au nouveau régime féodal marqué par la prise de pouvoir économique et technique des seigneurs.

 

Le moulin banal

 

C’est dans le cadre du féodalisme XI ème et XII ème siècles que le moulin devient monument et machine de première utilité et que le meunier se voit investi d’une fonction technique, économique et sociale primordiale. En quelques décennies le territoire va se couvrir de moulins pour subvenir aux besoins alimentaires des populations et approvisionner la seigneurie en revenus substantiels. Mais cette prolifération n’a rien d’anarchique. Le seigneur, maître du « ban » construit les moulins qu’il estime utiles sur son domaine et pas plus car c’est lui qui assure la totalité des frais de construction et d’entretien.

Il domine terres et hommes, ordonne le début et la fin des grands travaux, est le maître du temps paysan. Maître du moulin, il devient tout naturel qu’il contrôle aussi la transformation du grain en farine, puisque la récolte est produite sur ses terres par le travail de ses hommes. Il n’est pas question que les blés récoltés sur le fief soient moulus ailleurs par un autre moulin et un autre meunier que celui du fief. Ce principe de « banalité » donnant au seigneur le monopole est une pièce capitale de l’organisation féodale.

L’aire du moulin, « la banlieue » (distance d’une lieue autour du moulin) devient pour plusieurs siècles le point de convergence des déplacements quotidiens du peuple en quête de mouture, les « baniers ». Le recours au meunier devient une nécessité incontournable, il détient la clé de vie car la « banalité » interdit tout recours à de petits moulins domestiques mus à la main ou par des animaux. C’est encore la « banalité » qui fixe dès le XI ème siècle le prix de la mouture : 1/16 ème de la quantité de grain portée à moudre.

 

Qu’est ce que la banalité ?

 

La banalité est l’obligation pour les manants d’utiliser les moulins et fours seigneuriaux.

On distingue deux types de banalité : les banalités conventionnelles et les banalités légales.

Sans entrer dans les détails, nous pouvons considérer la première comme étant basée sur une convention ancienne comportant l’obligation d’utiliser les établissements seigneuriaux, le seigneur étant fondé en titre (aveux ou dénombrement par exemple). Pour la banalité légale, établie par la coutume, il suffit d’être seigneur justicier pour exercer ce droit. Il n’y a que dix coutumes qui admettent cette seconde catégorie : le Poitou et l’Angoumois, Perche, Saintonge, Marche, Tourraine, Loudunois » Anjou, Maine et Bretagne.

Le Périgord suit la coutume de Paris qui précise qu’aucun seigneur justicier ne peut contraindre ses sujets s’il n’a un titre banal ancien, Cette coutume est donc plus favorable aux contraignables car elle impose des limites plus précises. Dans les autres coutumes, le seigneur justicier possédant un fief peut établir un moulin banal où il le désire. Si le seigneur n’a pas de juridiction il ne peut pas établir de moulin banal à moins d’en obtenir l’autorisation du seigneur justicier dans la mouvance duquel il se trouve. Les limites de la banalité sont alors celle du fief et non la banlieue.

 

Banlieue ? vous avez dit banlieue ?

 

L’étendue de la banalité est la banlieue. Etienne Souchet la définit comme étant la première lieue autour du moulin. C’est donc une distance d’une lieue de France soit 3248 mètres. Si le fief s’étend au-delà de la banlieue, les personnes qui y résident en sont dispensées. Il en va de même si la banlieue dépasse le fief. De plus, les contraignables doivent porter eux mêmes ou faire porter leurs grains au moulin ce qui, nous le verrons, n’est pas le cas dans les autres moulins. La banlieue poitevine est définie par Boucheul comme contenant deux mille pas « chaque pas valant cinq pieds à prendre de la huche du moulin » soit 3248 mètres d’après Michel Broquereau et 1050 mètres d’après Prosper Boissonnades. Les coutumes de Poitou et d’Angoumois donne donc la même définition de la banlieue. Cette question nous a posé quelques problèmes de définition. En effet, la théorie, la coutume, ne concordait pas avec la pratique.

 

Les dispositions qu’imposent la banalité

 

Les coutumes d’Angoumois et de Poitou sont très « pointilleuses » sur le thème de la banalité. Les dispositions en sont très précises.

  • Le moulin doit être suffisant. Ce moulin doit pouvoir moudre tous les grains qui lui sont confiés dans les vingt-quatre heures. Si ce délai est dépassé, les contraignables sont libres de porter leurs grains où bon leur semble. Il en va de même si le moulin est momentanément hors d’usage. Cependant la banalité reste valable.
  • Prescription: Dans la coutume d’Angoumois, l’abandon du moulin par le seigneur ou sa ruine ne suffisent pas pour opérer la prescription. Il semblerait cependant qu’un délai de prescription de trente ans soit admis. Pour la coutume d’Angoumois, il faut que la justice soit exercée pour conserver la banalité. Si cette justice n’est pas exercée la banalité cesse. De la même façon, le droit de banalité est imprescriptible pour la coutume du Poitou. La banalité reste valable quel que soit le temps qui s’écoule après l’abandon du moulin.
  • Banalité du moulin à vent : Dans la coutume d’Angoumois, contrairement à celle du Poitou, les moulins à vent ne peuvent être banaux. La coutume du Poitou admet la banalité pour 1es moulins à vent, cependant, il semble difficile pour ces derniers, à la merci des caprices du vent, de respecter les délais impartis par la coutume pour rendre la farine.
  • Le droit de mouture est fixé à la seizième partie du boisseau. Les baux à ferme le précise en le dénommant « droit de seizain ». Il semble que dans certains lieux, ce droit ait été d’un dizième puisqu’on trouve mention d’un droit de dizain.
  • Le meunier a « droit de contrainte«  ; Il a donc le pouvoir d’obliger les contraignables à faire moudre leurs grains au moulin banal. Il peut confisquer la farine moulue en fraude.
  • Pour la coutume de Poitou, le moulin doit être « au point-rond« . Il faut donc que l’archure soit de forme circulaire. Cela évite que de la farine ne « s’égare » dans les recoins au profit des meuniers. La coutume d’Angoumois ne fait pas mention de cette clause. De plus le meunier doit toujours avoir dans le moulin un boisseau étalon et une balance.
  • Il ne peut y avoir qu’un seul moulin banal par fief. Plusieurs moulins séparés ne peuvent être tous banaux. Si le seigneur fait construire un second moulin, ce dernier ne peut jamais être banal. Le seigneur ne peut ériger son moulin que sur son terrain et non sur ce lui de ses censitaires.
  • Personne ne peut construire un moulin dans l’étendue où s’exerce la banalité.
  • Les personnes soumises à la banalité sont les hommes couchant et levant dons l’étendue de la banalité ». Ils ne sont pas obligés d’y résider. Il suffit d’y posséder une maison que l’on habite une partie de l’année. De plus, tous les grains sont sujets à banalité. La banlieue, dont nous avons parlé plus haut, est considérée comme étant l’étendue de la banalité. Les personnes résidentes en dehors de la banlieue sont libres d’aller faire moudre leurs grains où bon leur semble.
  • Lorsqu’un moulin banal est arrenté, le nouveau propriétaire perd automatiquement et définitivement le droit de banalité. Par contre, l’afferme d’un moulin ou d’une seigneurie ne supprime pas le droit de banalité.

 

 

Exemple de Bail d’un moulin banal

Bail du moulin banal de la Jonchère – 15 mai 1754

 

Fonds du notaire BARNY- St Sylvestre. A.D. 4 E 22- 24

Aujourd’huy quinzième jour du mois de may mil sept cent cinquante quatre, avant midy, au lieu de Grandmont, paroisse de St Silvestre, en l’étude et pardevant le notaire royal en Marche, Poitou et Limousin soussigné, présents les témoins cy après nommés

EST COMPARUT Mre Christophe RIVIERE de Treymond prêtre curé du bourg et paroisse de la Jonchère, demeurant au dit bourg de la Jonchère, où il y a paroisse, lequel, tant de son nom propre et privé que comme ayant charge et se faisant fort pour Messire Louis ROMANET , prêtre docteur en Sorbonne, grand chantre de l’église cathédralle de Limoges, grand vicaire de Monseigneur l’Evêque du dit Limoges et prévost de la prévosté de la Jonchère, a de son bon gré et volonté, donné et donne, par ces présentes, à titre de bail afferme pour le temps et espace de trois années, continues et consécutives, qui ont commencé aux festes de Noël derniers pour finir à pareils et semblables jours desdites trois années, finies et révolues, à Antoine ROYET, meusnier, demeurant au moulin banal de La Jonchère , icy présent, stipulant et acceptant pour luy et ses hoirs ou ayants cause, scavoir est ledit moulin banal de la Jonchère, situé paroisse du même nom, dont il y en a la moitié qui appartient à Monseigneur l’Evêque de Limoges et l’autre moitié audit sieur prévost en la dite qualité, le dit moulin a eau, faisant de bled farine, garny de ses meules tournant et travaillant et autres ustensilles nécessaires pour la jouissance du dit moulin, ensemble la maison où loge le meusnier et autres préclôtures du dit moulin ainsy que le dit preneur et les autres précédents fermiers en ont joui ou dû jouir, le tout en bon état sauf des baptiments qui sont en mauvais état, aussy bien que le moulin à chanvre, qui est vacant depuis longtemps, lequel le susdit bailleur n’entend faire remettre pour en faire jouir le dit preneur, lequel preneur ne sera tenu à aucunes réparations, ny grosses, ny menues, que seulement de celles qu’il sera nécessaire de faire aux outils qui servent a repiquer le moulin, pourvu qu’il n’en faille pas de neufs, auquel cas le dit bailleur luy en fournir, ny à aucune charge réelles ny personnelles non plus qu’à aucune taille ny impositions royalles pour le dit moulin, sinon de celles à laquelle il pourrait etre imposé par le profit de la ferme du dit moulin, et en cas qu’il y eut quelques mosnants sujets au dit moulin qui refuseraient d’y aller moudre sans cause légitime le dit bailleur au dit nom s’est obligé de les poursuivre pour les y contraindre après une simple sommation de la part du dit preneur en cas qu’il se trouve de la preuve de leur refus, au surplus la présente ferme faitte pour le prix et somme de : huit vingt quatorze livres payable à chacune feste de Noël de chaque année, dont le premier échéra aux festes de Noël prochaines, et ainsy continuer d’année en année jusqu’à fin de bail, de laquelle somme de huit vingt quatorze livres, prix du dit présent bail de chaque année, il y en a la moitié qui appartient au sieur prévost, et l’autre moitié aux sieurs fermiers de Monseigneur l’Evêque, et qui sera par eux remis, les quels fermiers le sieur bailleur nous a dit et assuré avoir fait avertir pour être présents aux présentes, par le dit preneur, et par le nommé Martial MALABRE du dit bourg de La Jonchère, ce qu’ils n’ont tenu compte de faire, c’est pourquoy le dit sieur bailleur au dit nom a promis garantir de tous troubles et empeschements, et de faire jouir pendant le dit temps le dit preneur des choses sus-affermées, lequel a promis de délivrer au dit sieur bailleur copie en forme du présent bail, à l’entretènement de tout ce que dessus les dites parties ont obligé tous leurs biens présents et futurs une exécution non cessante pour l’autre, même le preneur sa personne, a peine de tous despens, dommages et intérests. FAIT et passé, le jour, mois et an que dessus, en présence de Jean CUCHET, tailleur de pierre du bourg de St Silvestre et de Martial GOUGAUD, toucheur, habitant du village des Grands Marmits, susdite paroisse de la Jonchère, témoins connus et appellés, qui ont signé avec les parties, sauf du dit preneur et de Gougaud qui ont déclaré ne savoir signer de ce enquis, et avons signé.

Signatures : Rivière; Jean Cuchet; Barny, notaire royal.

 

 

 

 

 

Droit d’utiliser l’eau sous l’Ancien Régime

 

Extrait du document d’ Annie Bouchard, Présidente de la FFAM « Nos moulins, énergie du passé… ressources du futur »

 

A l’échelle des petites puissances, l’utilisation de la force motrice de l’eau est extrêmement ancienne. En France, au Moyen – âge, les « maîtres d’œuvre » de l’époque, souvent des moines, dotèrent leurs abbayes de multiples aménagements hydrauliques. Au temps de la banalité, les seigneurs s’approprièrent le droit à utiliser l’eau. Pendant des siècles, l’énergie apportée par l’eau a ainsi comblé les besoins des hommes. Aujourd’hui, certains pays l’utilisent encore comme source première. Symbole de vie, l’eau a été, est et sera source de conflits pour son usage, pour son partage. Au temps où les moulins utilisaient l’eau comme source d’énergie, cette eau était leur outil de travail et les procès entre meuniers ou usiniers étaient chose courante. Après la Révolution, son usage fut réglementé.

Aujourd’hui, il est impossible de renier le poids de l’histoire qui a façonné la réalité hydraulique des rivières d’aujourd’hui… Surtout serait-il rationnel de nier la place des moulins au sein du potentiel hydroélectrique?

 

I -LES MOINES ONT EQUIPÉ DE MULTIPLES COURS D’EAU

 

La meunerie, artisanat consistant à transformer les céréales en farine, figure parmi les activités agro-alimentaires les plus anciennes de l’humanité. Du latin mola, un moulin est à l’origine l’ensemble des deux meules permettant la mouture des céréales. Dès l’âge de pierre, les hommes préhistoriques broyaient le grain entre deux pierres, puis on utilisa pilon et mortier, et les Romains nommèrent «far» le résultat de ce grossier concassage.

L’existence du moulin à eau est attestée, en Syrie, peu avant l’ère chrétienne. Sa roue horizontale à palettes est fixée sur un arbre vertical. Ce dernier traverse la meule inférieure fixe et fait tourner la meule supérieure. Quant aux Romains, ils adoptèrent un moulin dont le mécanisme est tout différent: la roue hydraulique, disposée verticalement, entraîne un arbre horizontal portant une roue dont les dents s’engrènent sur celles d’un tambour fixé sur l’axe vertical actionnant la meule tournante.

Le moulin médiéval a peu évolué par rapport au moulin vitruvien, le rudimentaire mécanisme de base reste le même pendant près de 1000 ans: une roue hydraulique couplée à un rouet transmet le mouvement rotatif à l’axe vertical qui anime le système de mouture. C’est la première machine inventée par l’homme, et le moulin hydraulique «faisant de blé farine» en est le type le plus ancien.

Dès la fin du Xe siècle, l’homme s’attaque à la forêt pour gagner des terres cultivables. La conséquence en est le développement des moulins pour écraser les céréales que l’on produit plus intensément. Les moines, les Bénédictins puis les Cisterciens, et les seigneurs aménagent biefs et chutes d’eau, le moindre cours d’eau devient prétexte à faire moudre peu à peu un ou plusieurs moulins. Grâce au moulin, le moine peut enfin consacrer plus de temps à la prière, et l’homme est libéré de tâches écrasantes et serviles. Dès lors, on constate un réel essor de l’économie rurale dont le moulin se trouve être, du XIIe au XIXe siècle, le moteur, toute l’économie étant basée sur les ressources de l’eau des rivières.

 

II -PENDANT DES SIÈCLES, L’ÉNERGIE DE L’EAU A COMBLÉ LES BESOINS DES HOMMES

 

C’est au début du XIe siècle, alors que la hausse de la démographie génère de nouveaux besoins alimentaires, que l’on assiste en France à une véritable prolifération des moulins à eau; dès cette époque, le tiers des moulins des 800années à venir tournent, et vers le milieu du XIIIe siècle, l’ensemble du système meunier est en place à 90%.

Le moulin est au sens le plus ancien du terme machine à écraser entre deux meules les produits les plus divers, principalement végétaux: céréales, mais aussi du malt, des olives, des noix, des graines de moutarde ou d’œillette, pastel, voire des pierres, etc.

Générateur d’énergie, le moulin, se situant au cœur d’un système de relations, est aussi générateur d’un groupe social particulier. Agent social nouveau, un peu en avance sur son temps, qui apparaît au Moyen-âge corrélativement au développement des moulins, le meunier transforme, travail symbolique dont il tire un avantage personnel, revenu d’un capital et salaire de son travail, en même temps qu’il satisfait un besoin social essentiel, celui de se nourrir. Ayant entre les mains un outil collectif, maîtrisant une mécanique complexe, exerçant un pouvoir sur les eaux qu’il apprivoise, l’usinier fait preuve d’un savoir-faire envié.

La multiplication des moulins sur nos rivières a rapidement été suivie de leur adaptation à diverses applications. Une première innovation importante apparaît au XIe siècle. Grâce au mouvement vertical alternatif, la came, connue depuis Héron d’Alexandrie, permet de nouvelles utilisations. Ainsi équipé, l’arbre horizontal de la roue hydraulique transforme celle-ci en un véritable moteur industriel, le seul connu jusqu’à l’invention de la machine à vapeur.

Vers 1050, sont attestés les premiers moulins à foulon. Des moulins à chanvre fonctionneront sur le même principe à la fin du XIIe siècle. A la même époque on broie des écorces dans les moulins à tan. Au XIIIe siècle, la roue hydraulique anime des marteaux de forge, les martinets des taillanderies, mais aussi les soufflets. Elle devient le moteur du moulin à papier, de la scie mécanique. Dans les mines, elle remonte l’eau et évacue le minerai… Au XVIIe siècle, on utilise aussi l’énergie des rivières pour y pomper de l’eau (exemple de la «machine de Marly» du roi Soleil). Jusqu’à la vulgarisation de la machine de Watt à la fin du XVIIIe siècle, une usine ne pouvant s’implanter ailleurs que sur un cours d’eau, l’industrie tout entière est mue par la roue du moulin à eau. Au début du XIXe siècle, le site hydraulique devient le lieu privilégié du développement de la production et de nombreux industriels utilisent des chutes d’eau pour entraîner des machines diverses. Les moulins vont jouer un rôle majeur durant tout le XIXe siècle.

II faudra bien entendu attendre la mise au point des premières dynamos pour voir «électrifier» les moulins. Mais tout ira très vite, puisque l’invention de Gramme date de la décennie 1870, et la première concession en France de petite usine hydroélectrique date de 1883. Ainsi sont nés un peu partout de petits aménagements hydroélectriques, souvent sommaires, intéressant un artisan, puis quelques industriels groupés dans les vallées qui connaissent toujours une activité intense, ou assurant l’électrification de quartiers ou de villages entiers. Toutes ces activités humaines ont contribué à façonner le paysage. Mais la révolution industrielle portera en elle les germes qui seront à l’origine du déclin du tissu hydro-énergétique traditionnel, fruit des dix siècles précédents.

Longtemps courroie de transmission du circuit économique, le moulin représente toute la technologie d’un millénaire. Mais si les moulins servent à faire tourner progressivement une diversité de plus en plus grande de machines, ils restent avant tout le moyen de faire le pain qui constitue la base de l’alimentation. Dans son rôle longtemps de très loin prépondérant, l’histoire du moulin est indissociable de la quête du pain à travers les âges. Le pain, ou plus exactement le manque de pain, sera l’une des causes et non la moindre de la Révolution française. Le 14 juillet 1789, la Bastille est prise car on croyait qu’elle contenait du blé…

 

III -DE DAGOBERT À 1789, LA BANALITÉ

 

À l’époque de la grande construction des moulins, les terres appartiennent aux seigneurs laïcs, aux évêques et aux abbayes. Il leur est facile de faire creuser les canaux dans des bois, des prairies sans craindre des contestations des paysans.

Dès le VIIe siècle, le roi Dagobert décide de faire de la mouture un droit féodal. Au début, seule la puissance physique est recherchée, peu à peu c’est la puissance économique qui fait du moulin un instrument de profit. La banalité a facilité le développement des moulins à farine, pièce essentielle de la construction seigneuriale, élément de base du «ban». Le but «social» initial d’un usage collectif est bien vite détourné pour aboutir à de lourdes contraintes, la banalité.

La banalité est le monopole qu’avait un noble d’obliger la population habitant sur son fief d’aller faire moudre son grain dans le moulin banal, d’aller cuire son pain au four banal, etc. Le droit de ban est à la fois pouvoir de commandement, de justice et de fiscalité; le seigneur est maître des terres, des hommes, des animaux, mais aussi de l’eau des rivières. Il est le seul à avoir le droit d’établir un moulin sur son domaine. A travers la seigneurie banale, le seigneur, à la fois propriétaire foncier et détenteur d’un pouvoir de contrainte, s’approprie une part du travail des hommes installés sur ses terres. Les seigneurs n’étant habilités à revendiquer aucun droit sur l’air car le vent n’appartient à personne, les moulins à vent, dont les ailes commencèrent à se dresser vers la fin du XIIe siècle dans le Nord-Ouest de la France, ont parfois été édifiés principalement en protestation contre la banalité.

L’Edit de Moulins de février 1566 établit le principe d’inaliénabilité du domaine de la Couronne. La distinction fondamentale entre les rivières navigables et flottables et celles qui ne l’étaient pas a été officialisée par l’ordonnance royale des Eaux et Forêts de août 1669, dite ordonnance de Colbert. Sur les rivières navigables, l’autorité suprême devenait seule investie d’autoriser la création de nouveaux«barrages» usiniers et le maintien des aménagements existants, ainsi que du pouvoir de police y afférent. La très grande majorité des usines du Royaume, situées sur des rivières non navigables ni flottables, restèrent sous la tutelle de la seigneurie banale.

Sous l’Ancien régime, le problème de l’entretien ne se pose guère. Les conflits les plus connus traitaient plus particulièrement du droit de propriété. En tant qu’investissement essentiel au domaine, le propriétaire se doit de l’entretenir. Les «banniers», ou utilisateurs obligés du moulin, sont tenus d’effectuer des travaux basés sur le principe de la corvée ou réquisition des hommes. Les rivières sont entretenues par les corvéables. La durée des corvées est fixée par la coutume ou par la charte du village. Les corvées sont rachetables et grâce au revenu qu’il retire de cette vente, le seigneur peut faire effectuer les travaux indispensables. Dès la nuit du 4 août 1789, les corvées sont abolies.

Quand les moulins sont devenus plus nombreux, la population n’a plus supporté d’être obligée d’aller faire moudre son blé au moulin banal, qui n’était pas forcément le plus accessible et le plus «économique». La banalité ne se justifiant plus, elle a été considérée comme un privilège. Ce privilège étant propriété exclusive des nobles et des ecclésiastiques, la Convention n’a pas hésité à satisfaire les demandes formulées dans les cahiers de doléances. La banalité a été aussi une des causes de la Révolution française.

La Révolution a fait disparaître la banalité et les conflits qu’elle générait. Par contre, elle n’a pas supprimé les droits d’usage de l’eau. Un nombre important de moulins servant, en cette fin du XVIIIe siècle, à des fins industrielles, il aurait été mal venu de remettre en cause la possibilité d’utiliser l’eau, d’autant que de nombreux moulins, devenus propriété de l’Etat suite à la confiscation des biens de l’Eglise ou d’émigrés, devant être vendus à des particuliers, il fallait bien qu’ils puissent tourner. Ce sont des raisons économiques qui ont donc poussé au maintien du statu quo. Il en résulte que le droit d’eau n’a pas aujourd’hui à être considéré comme un privilège n’ayant pas été supprimé, mais comme une nécessité économique.

 

IV -MOULINS FONDÉS EN TITRE ET MOULINS RÉGLEMENTÉS

 

«Si quelqu’un veut construire un moulin ou un quelconque barrage dans l’eau, qu’il le fasse sans nuire à personne. Mais si l’ouvrage nuit, qu’il soit détruit afin qu’il ne nuise plus.»Cette citation, traduite du latin et provenant d’un capitulaire du roi Dagobert rédigé en 632, reste d’actualité…

 

Le «droit d’eau» fondé en titre

 

Les cours d’eau navigables et flottables sont aujourd’hui, en schématisant, dénommés les cours d’eau domaniaux et font partie du domaine public fluvial; les autres cours d’eau sont devenus les cours d’eau non domaniaux, autrefois intitulés les cours d’eau non navigables ni flottables. Les moulins établis sur des cours d’eau domaniaux doivent prouver leur antériorité à l’Ordonnance royale de Moulins pour être considérés fondés en titre. S’agissant des cours d’eau non domaniaux, qui sont bien évidemment les plus nombreux sur le territoire national, les critères habituels sont la permanence du lit, un débit suffisant et le caractère naturel du lit. Sur ces cours d’eau, les moulins existants au moment de la Révolution, bénéficiant donc de droits acquis, seront considérés comme ayant une existence légale consacrée par leur ancienneté. Leur existence légale est fondée soit sur la vente des biens nationaux, soit sur l’existence de l’usine avant l’abolition de la féodalité.

Au Moyen-âge, il n’était probablement venu à l’idée de personne que les droits donnés pour l’utilisation de l’eau pourraient être à durée limitée. Ils ne l’ont donc pas été. Il en découle aujourd’hui que les ouvrages fondés en titre sont considérés comme disposant d’un droit imprescriptible (l’Etat ne peut le supprimer). Il s‘agit d’un droit réel immobilier à l’usage préférentiel de l’eau, inaliénable et de caractère perpétuel.

 

La consistance légale

 

Le droit est attaché à la prise d’eau et à l’utilisation de la force hydraulique et non au moulin en tant que tel. C’est ce que le juriste appelle l’existence légale du moulin fondé en titre. Il s’agit d’un régime juridique protégé: l’usine fondée en titre peut utiliser l’énergie hydraulique sans «autorisation», dans la limite de la puissance résultant de sa consistance légale. En cas de litiges, la preuve de modifications passées ayant entraîné une éventuelle augmentation de puissance est à la charge de l’administration, la consistance légale telle qu’elle existait avant 1789 demeurant protégée. Comme il est difficile d’en apporter la preuve, elle est présumée conforme à la force motrice nécessaire pour entraîner les mécanismes actuels s’ils existent toujours, ou à l’état des installations décrit dans des documents même postérieurs à 1790. Elle s’apprécie en fonction de la hauteur de chute et donc de la hauteur du seuil. Quant à la jurisprudence, la pérennité des droits fondés en titre y est affirmée de manière constante.

Le droit fondé en titre consiste à avoir le droit de barrer un cours d’eau pour provoquer une élévation artificielle du niveau de l’eau qui, utilisée judicieusement de par la gravité, produit une énergie précieuse même à l’heure de la suprématie temporaire de l’énergie nucléaire. Ce droit consiste entre autres à pouvoir réparer ou entretenir les vannes, réparer le barrage et manœuvrer les vannes pour les besoins de l’exploitation du moulin ou de l’usine.

 

Les «Ouvrages autorisés»

 

Dès 1791, les privilèges féodaux n’étant pas encore abolis par la Révolution, un avis au public stipule que «chaque particulier peut ériger sur son terrain un moulin».La loi du 19-20 août 1790 instituait le  »libre cours des eaux », la même année naissance des Ponts et Chaussées. En 1798, un premier recensement général de toutes les  »digues, écluses, moulins, usines » est organisé.

La nécessité qu’a un nouveau moulin hydraulique de disposer d’une prise d’eau va se trouver soumise à une autorisation administrative, conformément à un «règlement d’eau» destiné à préserver la conservation des cours d’eau en imposant certaines contraintes. Les moulins antérieurs à la Révolution ont pu faire l’objet soit d’un règlement d’eau administratif à la demande expresse du propriétaire souhaitant augmenter la puissance de son installation hydraulique, soit d’un règlement d’eau judiciaire à la suite de litiges entre différents usagers de l’eau.

La Révolution a en effet augmenté le nombre de procès résultant des conflits des usiniers entre eux et des meuniers avec les riverains, conflits traités jusqu’alors en interne par les nobles ou les ecclésiastiques. L’objectif de la réglementation était donc également d’améliorer les installations hydrauliques afin que les droits des tiers soient respectés. Les caractéristiques des ouvrages sont fixées de manière à ce que le remous généré ne provoque pas de nuisances en amont, notamment lors des crues habituelles, et que leur fonctionnement n’occasionne pas de privation d’eau pour les utilisateurs d’aval. Aucun règlement ne garantit un débit à un moulin ni une hauteur d’eau minimale. Il lui impose simplement de ne pas dépasser une cote de hauteur d’eau, appelée niveau légal de retenue, et fixe les caractéristiques des organes de sécurité.

La majorité des moulins, notamment ceux situés en plaine, fut ainsi régularisée au cours du XIXe siècle. Les autres, souvent de puissance faible et ne créant pas de problèmes graves à leurs voisins, ont pu ne jamais être réglementés. Mais dès cette époque, un certain nombre d’installations hydrauliques, aujourd’hui considérées comme fondées en titre, furent modifiées pour des raisons d’intérêt général, notion peu développée dans la période précédente où, la priorité étant donnée aux moulins pour produire de la farine, le meunier pouvait, la plupart du temps, sauf pour des besoins d’arrosage des prés, utiliser la totalité du débit de la rivière.

Une circulaire ministérielle du 26 décembre1884, toujours en vigueur, officialise le fait qu’il n’est pas nécessaire que l’utilisation de l’énergie ait le même objet aujourd’hui qu’à l’origine pour que le droit -fondé en titre ou règlement d’eau- soit reconnu (il n’est ni associé au contingent de mouture des moulins à blé, ni à aucune autre production quelle qu’elle soit).

 

Le règlement d’eau

 

Les premiers règlements d’eau apparaissent sous forme de décrets, puis d’ordonnances royales ou impériales. Les suivants ont été réalisés en majorité dans la deuxième partie du XIXe siècle, tels qu’on peut les découvrir aujourd’hui sous forme d’arrêtés préfectoraux. Ce sont les premiers documents sur lesquels sont précisées les caractéristiques des installations hydrauliques. La circulaire ministérielle du 23 octobre 1851 explicite les travaux devant être réalisés par les techniciens mais également les points qui échappent à l’administration.

Le règlement est la pièce administrative essentielle pour un moulin, car elle autorise l’ouvrage et fixe ses conditions de fonctionnement.

A défaut d’avoir obtenu ce document de son vendeur, le propriétaire doit pouvoir l’obtenir à la Direction Départementale de l’Agriculture et de la Forêt (DDAF), ou à celle de l’Equipement (DDE), ou à la Mission Inter Services de l’Eau (MISE). Officiellement, ce n’est en effet pas au propriétaire de donner la preuve de son droit d’usage(contrairement à la preuve d’existence « fondée en titre »), mais à ces services dont le rôle est justement de le faire appliquer. Le règlement d’eau peut aussi être recherché aux Archives départementales dans la série S (cours d’eau, usines), quand il s’y trouve.

 

V -ÊTRE RIVERAIN, DROITS ET DEVOIRS

 

Droit de riveraineté

 

« L’eau fait partie du patrimoine commun de la nation ». «Res communis» ou chose commune, elle appartient à tous. En vertu de ce principe très ancien (le Code de Justinien, au Vie siècle de notre ère, l’énonçait déjà), l’eau courante, celle des cours d’eau, ne peut faire l’objet que d’un droit d’usage, elle n’est pas susceptible d’appropriation.

Le lit d’une rivière non domaniale appartient aux riverains, chacun pour moitié, avec droit d’usage dans les limites déterminées par la loi, la contrepartie étant l’obligation d’entretien. Le riverain est tenu de n’user de son droit que de façon «normale» et sans porter atteinte aux droits concurrents des autres riverains. L’article 644 du Code civil (inspiré del’article206 de la Coutume de Normandie) fait en outre obligation à celui qui use de l’eau de la restituer à son cours naturel. Composante du droit de riveraineté, le droit d’usage préférentiel est une équitable compensation aux contraintes et aux risques liés à la situation au bord de l’eau. L’eau passant par le moulin est détournée de son cours naturel en application de ce droit d’usage.

Le moulin, pièce centrale, et tout ce qui s’y unit artificiellement (déversoirs, biefs, vannes, canaux) forment un tout dont la fonction est indivisible du point de vue hydraulique. Les canaux creusés de main d’homme pour le service de l’usine sont privés contrairement à la rivière. A la charge exclusive de l’usinier, leur entretien doit être tel qu’il ne porte pas préjudice au libre écoulement des eaux, il lui incombe même s’ils traversent des terrains appartenant à un tiers. A défaut de preuve contraire, la présomption de propriété (canal d’amenée, canal de fuite, bief, et leurs francs-bords) vaut au profit du propriétaire du moulin.

 

L’entretien du cours d’eau, contrepartie du droit de propriété

 

Quand on parle du travail du meunier, on pense habituellement au transport des sacs de blé et de farine. On oublie facilement les travaux nécessités par l’enlèvement des embâcles bloqués sur le déversoir et l’entretien du canal d’amenée et de la rivière.

Au début du XIXe siècle, les choses sont juridiquement claires: le «droit d’eau» permet de régler les conflits entre moulins voisins, tandis que chaque riverain est responsable du maintien en bon état de sa portion de rivière; il peut effectuer lui-même le travail ou payer une cotisation calculée au prorata de la longueur de rivière qui traverse sa propriété. L’avis de curage général fait l’objet d’un arrêté préfectoral. Toutefois, tout au long du XIXe siècle, les opérations de curage semblent se dérouler dans l’anarchie comme le prouvent les multiples plaintes et procès que l’on peut consulter aux archives, et qui font le bonheur de tout propriétaire de moulin.

Au cours du XXe siècle, le curage a souvent été réalisé à des fins purement hydrauliques avec des engins mécaniques, en automne-hiver, sans se soucier des frayères qu’il détruisait, ni de l’étanchéité de certains cours d’eau. Le terme curage étant devenu synonyme d‘excès, le législateur a décidé de lui substituer le mot entretien. Aujourd’hui, l’entretien d’une rivière doit satisfaire le riverain qui réalise les travaux mais aussi le pêcheur et l’écologiste qui ont accès à la rivière. Les préoccupations de ces trois catégories d’usagers étant différentes, la rivière reste source de conflits.

 

VI -VERS UNE NOUVELLE LÉGISLATION SUR L’EAU

 

Durant des siècles, la gestion des milieux aquatiques fut essentiellement hydraulique, les usiniers étant à la recherche de la meilleure utilisation possible de l’énergie hydraulique. Si longtemps certaines nuisances ont été tolérées, elles le sont de moins en moins. Aujourd’hui, l’opinion y est de plus en plus sensible, et les lois et règlements sont de plus en plus contraignants à cet égard.

L’Office international de l’eau, il y a quelques années, s’était efforcé de recenser le nombre de textes qui, de près ou de loin, touchaient au droit de l’eau et il avait retenu le nombre de 1700 textes qui, pour la plupart, sont toujours dispersés malgré l’existence du nouveau code de l’environnement dans lequel on retrouve la plupart des principales dispositions concernant le droit de l’eau, autrefois incluses dans le code rural. La loi nous rappelle que les moulins n’ont pas été créés pour l’agrément d’une propriété mais pour la production d’énergie…

La Circulaire ministérielle du 23 octobre 1851 déjà citée définit les instructions aux préfets pour le règlement des usines sur cours d’eau. C’est en 1865 que l’on assiste à un premier classement de cours d’eau domaniaux soumis à obligation d’échelles à poissons, sorte d’«escalier» destiné à permettre à certaines espèces migratrices de remonter les cours d’eau pour frayer; ces ouvrages étaient financés par la puissance publique. Cette mesure fut prise pour lutter contre la disparition du poisson en tant que ressource économique importante à l’époque pour l’alimentation des populations rurales. La loi sur le régime des eaux de 1898 définit les droits et obligations des riverains, codifiés dans le Code civil.

Un règlement d’administration publique de 1905 et une circulaire ministérielle du 1erjuin 1906 arrêtent les bases de la Police des cours d’eau; ces textes, toujours en vigueur, sont repris au niveau départemental sous forme d’un règlement de police des cours d’eau signé par les préfets dans le courant du second semestre 1906.

S’agissant plus particulièrement de ce que l’on appelle l’usage hydraulique, l’usage industriel, c’est, pour l’essentiel, un usage qui est régi par la loi sur l’énergie hydroélectrique du 16octobre1919. Texte de référence, instituant, entre autres choses, une taxe dite  »Taxe de Statistique » sur tous les ouvrages hydrauliques, réglementés ou non, les textes suivants n’ont fait qu’en préciser les termes et les adapter à l’évolution du monde moderne, notamment en matière de pollution et de libre circulation des espèces piscicoles migratoires. La plus grande partie des «vieux moulins», d’une puissance inférieure à 150 kW, ne sont pas visés par la Loi de 1919. Qu’ils aient bénéficié d’un règlement d’eau antérieur à 1919 ou qu’ils soient fondés en titre, ils sont autorisés sans formalités et sans limitation de durée. Contrairement aux autorisations accordées dans le cadre de la loi de 1919, leurs droits d’eau sont cessibles, ils suivent le moulin en cas de changement de propriétaire.

Texte fondateur des Agences de l’eau et des taxes pollueurs/payeurs, la loi du 16 décembre 1964 est qualifiée de texte «qualité de l’eau». Dans la décennie 1980/1995, des analyses de plus en plus fines se sont développées quant à l’ensemble des questions liées à l’équilibre général à maintenir ou à rétablir dans les écosystèmes en vue de permettre un «développement durable», malgré la croissance des besoins en ‘eau. Avec l’arbitrage entre pêche et production électrique, un débat sur les conséquences environnementales des aménagements hydrauliques est apparu. Dans la plupart des pays développés, et notamment en France, tout un corps de textes législatifs et réglementaires a été établi dans ce but. La loi-pêche du 29 juin 1984, venue compléter les dispositions déjà existantes du code rural, organise la gestion des milieux aquatiques et des ressources piscicoles. Ayant pour objectif la préservation des poissons et la protection de leur habitat, elle pose, au travers de la question de la «libre circulation» des poissons, le problème des moulins et de l’entrave que sont supposés constituer dérivations et seuils assimilés à tort à des barrages.

La loi du 3 janvier 1992, intitulée Loi sur l’eau, reprend l’ensemble des réglementations en vigueur en les élargissant (maîtrise de la gestion quantitative de l’eau, pollution). Elle affirme la priorité de l’intérêt général sur les intérêts individuels, et renforce les pouvoirs des collectivités territoriales quant à la gestion des rivières.

 

VII –LA SITUATION EN 2011

 

La Directive cadre européenne du 23 octobre 2000 transposée en droit français par la loi du 21 avril 2004 confirme les principes de gestion institués par les lois sur l’eau françaises de 1964, 1984 et 1992, et fixe des objectifs écologiques, une méthode de travail et un calendrier visant à atteindre en 2015 le bon état de la ressource en eau dans les pays de l’Union.

La loi sur l’eau et les milieux aquatiques (LEMA) du 30 décembre 2006 intègre les directives conformes au droit européen quant à l’usage de l’eau, la qualité de l’eau potable et celle des poissons, tandis que le droit de riveraineté est de plus en plus encadré par la réglementation. Le classement des cours d’eau voulu par la LEMA pour répondre aux exigences de la DCE doit viser à maintenir ou atteindre le bon état écologique des cours d’eau d’un bassin versant, assurer la protection et la circulation des poissons migrateurs, assurer le transport sédimentaire.

En parallèle de la loi sur l’eau qui privilégie le milieu aquatique, la loi de programme sur l’énergie du 13 juillet 2005 définit des mesures favorables à une optimisation de l’énergie hydraulique. Le rapport Dambrine, haut Fonctionnaire à la Direction générale de l’Energie au Ministère des Finances, rendu en mars 2006, après avoir affirmé que l’hydroélectricité constitue un enjeu majeur au regard de la production d’électricité par les énergies renouvelables, propose diverses pistes de réflexion et d’action pour permettre une valorisation optimale du potentiel hydroélectrique français, dans un nécessaire compromis entre les divers usages de l’eau.

La mise en œuvre des nouvelles dispositions a donné lieu à 4 circulaires ministérielles relatives au classement des cours d’eau, aux obligations qui en découlent pour les ouvrages et à l’étude de l’impact de ce classement sur les différents usages (établissement de deux listes après avis des Conseils Généraux, des comités de Bassin et des Etablissements Publics des Territoires de Bassins dits EPTB).La circulaire du 25 janvier 2010 pour la restauration de la continuité écologique des cours d’eau, dite «de continuité écologique», précise qu’à l’échelle nationale pour 50% des masses d’eau de surface, la canalisation des cours d’eau et les obstacles à l’écoulement sont considérés comme constituant à eux seuls un risque de non atteinte du bon état. La suppression des obstacles avec une préférence pour leur effacement devient dès lors une priorité pour les services en charge de l’application de la DCE, qui sont soumis à une obligation de résultats.

L’obtention du bon état écologique est une entreprise complexe dans laquelle tous les paramètres ont leur importance, compte tenu de leurs interactions. Certes, il convient certes d’agir vite sur cette problématique, mais avec circonspection et méthode. Or les administrations concernées ont organisé dans l’urgence une consultation estivale, liée à des convocations dans des délais excessivement courts ne permettant pas de réunir tous les acteurs concernés; les projets présentés, contrairement aux préconisations de la DCE 2000, ne comprenaient la plupart du temps qu’une cartographie schématique comportant de nombreuses lacunes voire erreurs. Quant aux études d’impact, elles ne seront réalisées que postérieurement à la finalisation de ces projets, sans concertation prévue à ce stade. Dans ces conditions, il sera facile d’imposer les conclusions préparées dans le cadre de leurs missions pour la DDT, ONEMA etc.

La pollution due aux substances dangereuses prioritaires est rarement évoquée, seule l’hydromorphologie est mentionnée comme action indispensable : c’est oublier un peu vite que toutes les modifications des cours d’eau ont été autorisées, parfois initiées, par l’autorité administrative. De l’ensemble des textes législatifs et réglementaires, il apparaît que l’administration, jusqu’au milieu du XXe siècle, avait recensé tous les ouvrages hydrauliques, réglementés ou non, avec leur consistance, et en assurait la police. En 1962/63, les prérogatives hydrauliques des Ponts et Chaussées, service qui consignait par subdivision ces connaissances dans des dossiers individuels d’ouvrage (dossier de moulin), ont été transférées aux DDAF et DDE; malheureusement les archives n’ont pas toujours suivi ce transfert. Cela n’eut pas de grandes répercussions à l’époque, compte tenu du déclin de l’usage des moteurs hydrauliques entraînant un quasi abandon de leur suivi, y compris par leurs nouveaux propriétaires. Il n’en reste pas moins que l’administration se devait de faire respecter la fonctionnalité de ces ouvrages, ce qu’elle n’a pas fait, et qu’en outre elle restait en charge des documents administratifs toujours en vigueur. Que les services du ministère écrivent aujourd’hui dans une circulaire que  »la détermination du caractère autorisé ou non des ouvrages constitue le plus gros et le plus complexe du travail préalable à toute intervention » est pour le moins étrange; et quand cette circulaire parle de  »flou juridique », son rédacteur néglige le fait que l’administration en est directement responsable, par destruction d’archives publiques.

Le seul argument, répété en boucle par les représentants de l’Etat, est que la «continuité écologique» nécessiterait la suppression d’un maximum de seuils ou chaussées de moulins, présentés comme la cause principale de dysfonctionnements empêchant d’atteindre le bon état des masses d’eaux superficielles en 2015. Tout devrait donc se passer comme si le simple effacement des ouvrages, qui stigmatisent à eux seuls toutes les causes de dégradation du bon état des cours d’eau dont ils ne sont pourtant pas responsables, devait suffire à « chasser » tous les facteurs de mauvaise qualité des milieux de vie des espèces aquatiques. La réalité est beaucoup plus complexe et pour les cours d’eau dont le bon état global ne sera pas atteint en 2015 pour des raisons chimiques, une vision simpliste de l’impact des ouvrages conduira au « risque de non atteinte du bon état». Il n’a jamais été démontré scientifiquement que le retour à l’état initial des cours d’eau serait le remède pour une meilleure qualité de l’eau.

En bouleversant un équilibre écologique établi depuis des lustres, la suppression systématique des seuils de moulins qui n’est ni préconisée, ni même mentionnée par la DCE, par ailleurs financièrement insoutenable, induira des désordres qui ne semblent pas pris en compte. Toute suppression de seuil, remède souvent pire que le mal, est susceptible de remettre en cause l’équilibre général en induisant un brusque abaissement de la ligne d’eau aggravant la capacité érosive du cours d’eau. Modifiant les faciès, elle sera préjudiciable à la faune halieutique déjà agressée par les polluants chimiques, comme constaté sur certains sites déjà «renaturés». En outre, cela entraînera le déséquilibre de l’ensemble du réseau hydraulique, avec les conséquences que l’on peut imaginer, notamment dans les zones humides, l’alimentation de nombreux bras, la stabilité des ouvrages d’art, bâtiments, etc. On ne «travaille» pas un fleuve, une rivière ou un ruisseau comme on fabrique un produit industriel, la nature se moquant de la législation.

La France est, nous l’avons vu, un pays avec une longue histoire qui l’a conduite à domestiquer ses rivières, pour faciliter le travail de l’homme par le biais de l’énergie propre de l’eau. Tous les cours d’eau sur lesquels sont implantés des moulins ont été artificialisés depuis des siècles et les modifications hydrauliques qu’ils nécessitaient n’ont jamais empêché la «continuité écologique», prétexte invoqué aujourd’hui pour leur suppression. Sauf cas particuliers, la vie piscicole n’en était pas perturbée: dans les années 1950, Winston Churchill et des Présidents de la République venaient pêcher en Normandie alors que les seuils de moulins étaient plus nombreux qu’aujourd’hui.

C’est une démarche de concertation que nous souhaitons car depuis plusieurs dizaines d’années, de lourds programmes se sont traduits par des désastres écologiques (rectification des cours d’eau, dessouchage des rives, suppression de haies, rejets d’assainissements publics et privés, imperméabilisation et lessivages des sols, drainage, remembrements). Avant de s’engager dans une démarche coûteuse qui sera dénoncée comme inefficace par l’Union Européenne, une réflexion raisonnée et conduite cas par cas est nécessaire pour ne pas avoir à reconstruire les seuils qui auront été démantelés.

Plusieurs régions viennent, après avoir détruit une partie de leurs barrages, d’en faire la cruelle expérience, ce qui a entraîné des inondations importantes, aggravées par l’urbanisation irraisonnée des cinquante dernières années. Plutôt que de vouloir tout détruire, ne vaudrait-il pas mieux consacrer les imposants budgets de centaines de milliards d’euros à restaurer -à tout le moins entretenir -cet équilibre façonné au cours des siècles et préparer l’indépendance énergétique pour les générations futures, plutôt que de fermer toutes les options qui pourraient s’avérer utiles et pertinentes un jour? A l’heure des énergies renouvelables, le potentiel hydroélectrique des ouvrages (équivalant à une tranche de centrale nucléaire), pourtant inscrit dans la loi, n’est pratiquement jamais pris en compte.

Nos actions ont pour objectif d’alerter les différents acteurs de façon à éviter qu’une catastrophe ne se produise. Au moment où la sécheresse de 2011 sévit partout en France, des voix s’élèvent pour créer des réservoirs d’eau, pour l’agriculture notamment. Or, ils existent. Ce sont les seuils des moulins qui, tout en maintenant une ligne d’eau élevée, préservent les zones humides, facilitent le rechargement des nappes phréatiques et sont des réservoirs de vie pour la faune et la flore aquatiques. Un seul exemple à ce sujet: de nombreuses préfectures ont pris, en les étés 2010 et 2011, des arrêtés interdisant la levée des vannes pour préserver les cours d’eau d’étiages sévères: qu’en sera-t-il lorsque les vannages auront été supprimés et qu’une mince lame d’eau entraînera des sédiments potentiellement pollués dans des estuaires déjà encombrés, faisant des océans les exutoires des polluants s’écoulant des bassins versants et favorisant la prolifération des algues vertes et le développement de l’herpes-virus qui affecte gravement les parcs ostréicoles.

Face à la menace de destruction de tous les seuils au nom du mythe de la « continuité écologique », nous voulons démontrer que les moulins, reconnus 3epatrimoine de France, sont des outils économiques, énergétiques, écologiques et touristiques, sous réserve qu’ils soient fonctionnels et correctement gérés.

 

Conclusion

 

Aujourd’hui se trouve effacé de la mémoire de la plupart de nos concitoyens un ensemble d’aspects liés à la présence de l’eau courante en tant qu’énergie dans une vallée. Les moulins ont façonné notre monde depuis plus d’un millénaire. Lieux de vie par excellence au cours des siècles, ils peuvent continuer à vivre. En effet, même s’ils ne sont plus des usines, et bien que l’ère des aménagements consacrés essentiellement à la production d’énergie s’achève pour laisser la place à une ère «nouvelle» où tous les aspects (écologiques, humains, sociaux, économiques) devraient être pris en considération, leurs droits à utiliser l’eau n’ont pas disparu… Chaque moulin remis en état contribue à la logique d’un environnement respecté et participe à la vie de l’eau. Leur sauvegarde passe par la remise en fonctionnement des systèmes hydrauliques.

Tandis que le besoin en eau des moulins nécessite le bon entretien des cours d’eau -les meuniers étaient les cantonniers de la rivière-biefs et vannages permettent de réguler l’écoulement de l’eau en réduisant les risques d’inondations. Quant aux poissons, ils étaient bien plus abondants au temps où nos rivières étaient transformées en véritables «rues de moulins» qu’actuellement. Dans bien des cas, les rivières «artificielles» abritent encore et depuis des siècles une bonne part de la vie aquatique et piscicole, aujourd’hui beaucoup plus déstabilisée par diverses pollutions que par nos modestes moulins.

Bien avant l’arrivée des panneaux solaires et des éoliennes, les moulins ont su exploiter les forces de la nature sans la détériorer. L’énergie hydroélectrique est, dans le monde, une des principales énergies renouvelables. Elle est aussi une des plus séduisantes. A l’heure où la société s’inquiète de son environnement et où les ressources énergétiques commencent à s’épuiser, à l’heure où les risques du nucléaire sont devenus évidents, il est plus que jamais essentiel de préserver le potentiel de production hydroélectrique de faible puissance dont l’histoire remonte très loin dans le passé, ainsi que les petits aménagements hydrauliques qui sont les héritiers de cette histoire. Ils doivent être protégés et restaurés, voire reconstitués, non seulement pour la conservation du patrimoine et du savoir-faire de nos anciens, mais également et surtout comme source d’énergie qui, pour négligeable qu’elle semble, n’en est pas moins réelle… Ils peuvent aujourd’hui, tout en gardant leur âme et leur image patrimoniale, produire de l’électricité ne serait-ce que pour un usage privé, avec la satisfaction de contribuer à la protection de l’environnement.

 

 

Sources :

 

http://moulindelamousquere.pagesperso-orange.fr/pages/histoire-moulin/histoire-moulin.htm

http://moulinsdefrance.org/ffam/textesdroitd%27eauAB.pdf

http://www.persee.fr/web/revues

http://www.nature-lauriere.asso.fr/6103003/mm-1754-moulin-la-jonchere.pdf

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