LE CHANVRE

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Le chanvre



 






On voit dans les campagnes françaises, de plus en plus d’agriculteurs produisant cette plante, cousine du cannabis, car c’est une culture écologique. Les champs de chanvre font leur retour en France en force depuis les années 1970. Ils avaient disparu du pays à cause de leur mauvaise image. Mais le chanvre a de nombreux usages et vertus pour le sol. Le terme chanvre est désormais utilisé de préférence pour désigner la plante industrielle et sa fibre végétale.

Le chanvre est originaire d’Asie centrale et s’est répandu vers la Chine, toute l’Asie et le bassin méditerranéen. En Chine, on le cultive depuis environ cinq mille ans av. J.C. pour l’alimentation, la pharmacopée et la confection de vêtements, puis plus tard pour la fabrication de papier. La puissance maritime de l’Empire romain fut à l’origine de l’arrivée et du développement de la culture du chanvre en Gaule occupée. Chrétien de Troyes en parle dans le roman de Perceval (13eme siècle) : « ... ma bonne grosse chemise de chanvre … ».

Au 18eme siècle, le chanvre sert à fabriquer des toiles pour la maison, les vêtements. La filature est souvent réalisée à la maison à l’aide d’une quenouille. Les plus beaux fils sont utilisés pour les draps et les vêtements. A cette fin, ils sont blanchis dans de l’eau bouillante versée sur des cendres (opération répétée plusieurs fois). Avec les déchets de filasse, on fait du linge grossier de cuisine et des sacs. La marine à voiles constitue un débouché primordial : les voiles et la corderie ; un navire à voiles portait plusieurs tonnes de cordages de chanvre. A la suite de la création de l’arsenal de Rochefort par décision de Colbert en 1661, une corderie royale fut construite et achevée en 1669. Il fallait de nombreux ouvriers, du matériel robuste et le savoir-faire du Maître Cordier pour fabriquer les lourds cordages des navires dont le diamètre pouvait dépasser vingt centimètres

Le chanvre pousse tout seul, il n’a pas besoin de pesticides : il a une odeur tellement forte que les insectes s’enfuient. Il pousse très vite, plus vite que les mauvaises herbes, donc pas besoin de désherbant. Il faut juste ajouter un peu d’engrais, mais c’est la plante écologique par excellence. C’est une culture peu exigeante, peu parasitée sauf parfois par les orobanches (plantes parasites des racines d’autres plantes). Elle étouffe les mauvaises herbes et peut être faite sur des terres à blé qui sont alors rendues propres et libérées pour septembre. De plus, presque aucun entretien n’est nécessaire entre la mise en place des semences et la récolte. Le chanvre ne détériore pas le sol sur lequel il pousse, elle isole le pollen et absorbe certaines matières radioactives et toxiques tels que les métaux lourds grâce à ses propriétés de phytoremédiation (technique de dépollution basée sur les plantes et leurs interactions avec le sol et les micro-organismes). Le chanvre peut aussi se cultiver sur des terres en jachère.

Pour désigner couramment le chanvre et ses sous-espèces, les différents acteurs de la filière chanvre à usage industriel préfèrent employer les appellations en français (ou autre langue locale): chanvre, chanvre cultivé, chanvre agricole, chanvre d’œuvre ou d’ouvrage, chanvre indien, chanvre afghan ou chanvre sauvage.

Le chanvre industriel connaît de multiples utilisations, telles les tissus, la construction, les cosmétiques, l’isolation phonique et thermique, la fabrication d’huiles (avec ses graines on produit de l’huile, riche en oméga-3) , de cordages, de litières, l’utilisation sous forme de combustibles, en papeterie, pour l’alimentation humaine ( avec ce qui reste des graines, le tourteau, on peut faire de la farine pour la pâtisserie), l’alimentation animale, comme biocarburants, pour des usages médicamenteux, pour un usage récréatif ou comme matériaux composites en association avec des matières plastiques. La filière chanvre trouve un regain d’intérêt avec l’augmentation du prix du pétrole et la prise de conscience environnementale. Les pays européens et les collectivités locales de ces pays tentent ainsi de favoriser à nouveau la culture du chanvre. Sa culture dans le monde est diversement autorisée selon les pays.

Aujourd’hui, la France est le principal producteur européen de semence de chanvre et compte la plus large variété mondiale de semences industrielles certifiées. Le catalogue français des semences compte 9 variétés de chanvre inscrites au catalogue européen qui en compte 49. 40% de la production est vendu à l’export.

En France, la culture du chanvre, les outils et les métiers associés ont laissé de nombreuses traces dans la toponymie et l’anthroponymie (noms de lieux et de personnes). Par exemple la célèbre avenue de la Canebière à Marseille. En effet, cannebière, en langue d’oc, désigne une plantation de chanvre. Selon certains, il y avait culture de chanvre à cet endroit ; selon d’autres, il ne s’agissait que de fabriques de cordes et de voiles liées aux activités du port. Du côté de Nice on trouve li Chanabieros francisé en les « chanebières ». Au nord de la Loire, la plantation de chanvre était appelée chennevière, un terme que l’on retrouve dans des noms de lieux (Chennevières-sur-Marne) ou de personnes, parfois déformé en « chêne vert ». Le terme employé aujourd’hui est chènevière.

Peu attaqué par son environnement au niveau agricole, le chanvre a failli disparaître par désuétude économique. Les travaux de Denis Papin (machine à vapeur – 1690) marquent les prémices du déclin du chanvre, la force motrice animale et éolienne, nécessitant des fibres végétales pour être utilisées (cordes, voiles), étant petit à petit remplacées par la force mécanique (moteur à vapeur, puis moteur à explosion). Les périodes de guerre et de conquête (ruée vers l’or…) ont maintenu temporairement un haut niveau de consommation de fibres de chanvre, mais le déclin était engagé.

La création du nylon par la société Dupont de Nemours en 1935 a presque porté le coup de grâce. Déjà sorti au cours des 18ème et 19ème siècles des collections vestimentaires au profit du coton, le chanvre se voit déclassé dans les cordages par une fibre qui pèse la même masse avant et après avoir été jetée à l’eau, imputrescible, sans odeur, et élastique de surcroît. Le chanvre touche le fond et disparaît en Europe, à l’exception de la France.

Après avoir connu son apogée au milieu du 19èmesiècle (176 000 ha cultivés en France), les surfaces en chanvre ont été réduites à quelques centaines d’hectares en 1960 (700 ha). Cette culture avait presque disparu jusqu’à une reprise récente dans certains départements.

Le renouveau du chanvre industriel en France et en Europe résulte de l’augmentation des prix du pétrole, des obligations de recyclage des matières et des perspectives environnementales.

La culture connaît un regain d’intérêt depuis les années 1970 pour les marchés papetiers. La présence du nylon et des fibres synthétiques (fil de coutures…) interdit dans les années 1960 l’usage des fibres textile de récupération (les papiers chiffon) pour l’industrie du papier extra fin (papier à cigarette en particulier) et relance ainsi la culture du chanvre comme source de cellulose dédiée à l’industrie.

Dans les années 1980, la filière du chanvre décide d’utiliser avec succès la chènevotte, sous-produit léger et poreux, en paillage équin. Depuis les années 1990, la chènevotte est aussi utilisée avec des liants minéraux (terre, argile, chaux, plâtre, ciment) pour produire un système de construction à isolation répartie.

Les graines sont aujourd’hui reconnues pour l’intérêt nutritionnel de sa fraction protéique, très utile pour les régimes végétariens, aussi commercialisées pour l’oisellerie et les appâts de pêche.

La France est aujourd’hui leader européen de chanvre industriel avec une production annuelle de 50 000 tonnes (100 000 tonnes dans l’Union européenne). Depuis les années 2000, les surfaces en chanvre se sont stabilisées régulièrement avec l’émergence de nouveaux débouchés. En France, en 2006, les surfaces en chanvre atteignaient 8083 ha pour 1056 producteurs (cultures industrielles et semences comprises). Aujourd’hui les multi-usages du chanvre sont pour la filière une garantie d’amélioration de son équilibre économique et une sécurisation de ses débouchés

 

Culture et exploitation

 

Le travail du chanvre était bien adapté au monde rural, car il demandait une main d’œuvre nombreuse. En plus, l’aspect saisonnier des travaux des champs, permettait pendant la période creuse de l’hiver, la transformation de la plante en fils.

Les graines sont semées en avril ; les premiers plants lèvent à partir de mai jusqu’à la mi-juin, début de la phase de croissance active.

A la fin de l’été, dans les chènevières, ou « canebières » dans le sud de la France, les paysans commençaient à récolter lorsque les premières feuilles tombent. Ils arrachaient les tiges à la main en veillant à ne pas les casser ; travail très pénible à cause de la profondeur de la racine pivotante. Le chanvre mâle est arraché, lié par poignées, il est mis ensuite au soleil pour faire sécher les feuilles (à maturité le chanvre peut atteindre de deux à trois mètres de haut). Pour le chanvre femelle, l’arrachage s’effectue une fois les graines mûre. On les liait ensuite en petites bottes. Après quelques jours de dessiccation sur place, on égrugeait ou battait le chanvre, en en faisant tomber les graines au moyen de l’égrugeoir ou on le frappait contre un arbre ou contre un mur, pour en détacher les feuilles ou le fruit.

 

Le rouissage


Les bottes subissaient ensuite le rouissage dans un « routoir ou nay ». Cette opération consistait à immerger les plants dans l’eau stagnante des « nays« , creusés à proximité d’un ruisseau ou d’une source. Le rouissage a pour objet la destruction des substances gommeuses qui agglutinent les fibres mettant ainsi ces dernières à nu. Il y a destruction de l’épiderme et d’une partie du tissu cellulaire. Cette opération se fait sous l’action de l’humidité et de la fermentation produite. On agissait par immersion des tiges dans les « nais », fosses ou bassins peu profonds dans lesquels circulaient une eau courante et tempérée, assez tiède. Faute d’eau courante, le rouissage pouvait se faire dans une eau dormante, mais la qualité de la fibre était alors moins bonne. Moins le chanvre demeurait dans l’eau, meilleure était la filasse.

On devait mettre rouir le chanvre en bottes immédiatement après l’arrachage (au maximum deux ou trois jours après). Les bottes étaient coincées sous de grosses pierres qui les maintenaient immergées. La durée de rouissage variait de cinq à huit jours, en été, par temps chaud, à dix à quinze jours en automne. On reconnaissait que l’opération était terminée quand les feuilles se détachaient naturellement des tiges, qui commençaient à se fendre et à s’ouvrir, quand l’écorce s’enlevait facilement.

La transformation rapide des tiges était due à des bactéries qui attaquent et décomposent la gomme qui soude les fibres et le cœur inutile de la tige.

 

 

« Nays »

 

La durée du rouissage était importante, car elle influait sur la fibre, et donc sur la qualité du tissu à venir : trop courte, la filasse restait verte, et la chènevotte restait adhérente ; trop longue, le « bacilus amylobacter » attaque la cellulose de la filasse qui perd de la résistance. Les bottes tirées du routoir étaient mises à sécher au soleil pendant quatre ou cinq jours, ou mises sous un abri pour être séchées à l’air en attendant l’hiver, avant d’être broyées et teillées. Un four à chanvre était parfois utilisé jadis dans certaines régions productrices de chanvre afin de le sécher pour faciliter, lors de la phase suivante, la séparation de la fibre et de l’écorce par broyage. On faisait ainsi « haler le chanvre ». Après avoir récupéré les fibres des tiges de ces plantes, on en formait des tresses.

 

Fours à chanvre

 

Venaient ensuite les opérations de broyage et de teillage du chanvre, qui brisaient le bois des tiges et détachaient la fibre (quinze à vingt-cinq pour cent du poids des tiges seulement) de la chènevotte.

Les broyeurs de chanvre intervenaient dans la production des fibres de chanvre et de lin. On plaçait ensuite ces tresses sur la meule dormante du broyeur afin que la meule dressée roulant autour de l’axe vertical broie les résidus ligneux et assouplisse les fibres. La dernière étape du traitement consistait à peigner les fibres.

 

Le teillage

 

Jadis, le teillage était l’une des activités hivernales qui occupaient les veillées, ce travail était fait à la main. Ce travail était pénible. Il dégageait beaucoup de poussière et nécessitait une bonne agilité digitale.

Le teillage est une étape du travail du chanvre effectuée après le broyage des tiges. Les fibres textiles sont séparées du bois pour obtenir de la filasse de 70 à 80 cm de longueur.

L’opération consistait à casser la tige afin de séparer l’écorce de la tige car c’est uniquement l’écorce qui allait être utilisée.

Les bottes étaient d’abord brisées grossièrement, pour rompre la chènevotte (partie ligneuse de la tige) et les préparer à être broyées. Ensuite, on broyait le chanvre, à la « broie » ou « maque » – lorsque l’on ne dispose pas d’un moulin – appareil très simple consistant en deux barres de bois parallèles entre lesquelles on en fait tomber une troisième montée sur charnière (autres noms de la maque : brego, bargo, brigoun, bregoundelo…). C’est donc une mâchoire de bois dont le système mobile vient broyer le bois des tiges de chanvre.

 

Deux broies ou teilleuses

 

L’ouvrier qui teillait portait au 16eme siècle le nom de « tellier » dans le nord de la France. On le nomme aujourd’hui « teilleur » ou « tilleur ». Le chanvrier ou la chanvrière est la personne qui travaille le chanvre, chanvrière peut aussi désigner une coopérative de producteurs de chanvre.

On plaçait une poignée de tiges sur les deux barres immobiles et on les battait en faisant pivoter la troisième. On triturait la poignée de chanvre en la tirant à soi ; cassait et broyait ainsi la partie ligneuse des tiges (appelée chènevotte), pour pouvoir dénuder les fibres. Il faut prendre le brin de chanvre à son extrémité la plus grosse et dégager la rognure de sa filasse de manière à « déchausser » la tige. Puis tirer sur le bout de ruban obtenu et arracher toute la filasse du brin. Le geste est répété jusqu’à accumuler une poignée de filasse qui est nouée pour donner une queue de chanvre. Avec la chènevotte, on fabriquait autrefois les allumettes soufrées. Chaque botte broyée donnait un paquet de filasse qu’on pliait ou qu’on tressait pour qu’il ne s’emmêle pas. La filasse obtenue après le broyage était bien rugueuse, et il fallait lui faire subir des opérations destinées à assouplir les fibres pour leur donner cette douceur si nécessaire à la bonne qualité de la toile.

 

 

Après le broyage, qui brisait le bois du chanvre et en détachait la plus grande partie, le teillage se poursuivait par « l’espadage » (ou échanvrage) au cours duquel la fibre était assouplie et débarrassée des fragments de chènevotte restés adhérents.

On « échanvrait » le chanvre avec « l’espade » (ou fer à espader ou échanvroir), espèce de coutelas ou de sabre de bois ou encore fer plat plié aux extrémités. (échanvrer, consistait à frapper avec l’espade dans la fente d’un pieu posé verticalement, connu sous le nom de « picaire ».) On séparait ainsi les dernières chènevottes de la filasse du chanvre, et on affinait les fibres.

Le fer à « espader » lui, était fixé à un pilier de manière qu’il forme une sorte de coulant. L’affinage des fibres se pratiquait en frottant fortement la tresse dans ce coulant par un mouvement de va-et-vient.

Dans une civilisation qui savait tirer parti de tout, l’on ne jetait pas pour autant les tiges. Elles étaient attachées par petits paquets qui servaient à allumer le feu. Ce résidu s’appelle la chènevotte.

D’aucuns préféraient travailler avec une broie ou broye. Cet instrument est constitué de quatre lames en bois fixes qui sont supportés par deux montants et trois lames mobiles qui viennent s’imbriquer entre les lames fixes lorsqu’on les actionne.

Ce travail est aujourd’hui mécanisé.

Les broyeurs de chanvre intervenaient dans la production des fibres de chanvre et de lin. Après avoir récupéré les fibres des tiges de ces plantes, on en formait des tresses. On plaçait ensuite ces tresses sur la meule dormante du broyeur afin que la meule dressée roulant autour de l’axe vertical broie les résidus ligneux et assouplisse les fibres. La dernière étape du traitement consistait à peigner les fibres

 

 

Moulin à chanvre

 

Le peignage et filage

 

La dernière opération avant le filage était le sérançage ou peignage : qui consistait à frapper la filasse par poignées sur des plaques garnies de longues dents effilées, le peigne (appelé aussi séran ou brustiaire), tout en tirant à soi le chanvre pour le diviser en fibres de plus en plus fines, les paralléliser et les débarrasser des derniers restes ligneux. L’on faisait cela en les passant sur un grand peigne métallique soutenu sur une planchette. On utilisait plusieurs peignes avec des dents de plus en plus resserrées qui permettaient ainsi d’arriver à des fibres beaucoup plus fines.

Dans certaines régions, c’était un ouvrier itinérant allant de ferme en ferme et de village en village, travaillant souvent en équipe. Le peigneur de chanvre (appelé aussi ferrandier), qui fut longtemps un personnage familier dans les campagnes, disparut à l’aube du 20eme siècle avec la fin de la culture du chanvre.

Le peignage permettait d’éliminer les fibres trop courtes pour être filées, les derniers débris ligneux et de séparer trois qualités de fibres selon leur qualité et leur longueur :

– le « premier brin », la partie la plus longue, la fibre de meilleure qualité :

La toile la plus belle était la « toile de pied », dans laquelle chaîne et trame étaient en fil de « premier brin ». (Les meilleurs « peigneurs » étaient ceux qui savaient tirer du même chanvre, un maximum de premiers brins.)

– le « second brin », ce que les sérans retiennent, appelé « estoupa», l’étoupe. Ce premier rebut de filasse du chanvre, resté dans les peignes, aux fibres courtes, était cependant repris, travaillé à nouveau et filé, on en faisait la trame de la toile.

– le dernier déchet, l’étoupe la plus grossière était la bourre très courte, qu’on ramassait en boule et qu’on filait pour faire des étoffes grossières : le « bourras » (genre de toile à sac).

Ce déchet était appelé « lou còchis » dans la vallée du Verdon au 19eme siècle, « les chis » à Gap.

 

 

Peignes à chanvre

 


La filasse pouvait être directement utilisée pour la fabrication des cordes. Pour pouvoir la filer, il fallait l’assouplir avec un moulin à chanvre : une grosse pierre qui tournait sur une plate-forme. Si l’on ne disposait pas du moulin, l’on pouvait assouplir en frottant, par un mouvement de va-et-vient sur une lame de fer.

Au 19eme siècle, la fibre de chanvre était commercialisée à ce stade, prête à être filée : on la vendait par balles, composées de cent cinquante poignées de chanvre. Une poignée de chanvre se divisait en « quatre quenouillées ». (La quenouillée était la quantité de filasse que l’on pouvait mettre dans la quenouille ; on l’appelait aussi « poupée » en français, et « blestoun, blèsto », en provençal.)

On trouvait également des paquets d’un poids déterminé appelés « lei pié » ou « lei coua » (queues), car c’était des bottes de filasse fine et longue liées par un bout, qui ressemblaient à des queues de cheval. On les divisait aussi en « blestoun ».

Une fois cardée, la fibre donne la laine de chanvre. Ensuite venait le travail du filage…

Au 18eme siècle, ce travail préliminaire du chanvre était effectué par les agriculteurs qui trouvaient là une source de revenu supplémentaire. C’étaient surtout les femmes qui filaient. Elles filaient en gardant les bêtes, durant les veillées, ou toute la journée pour celles qui en faisaient profession. Le filage au fuseau, dans les champs, les femmes accrochaient une quenouille à leur ceinture.  Le filage au rouet, plus rapide, était effectué à la maison.

Le fil mis en écheveau est plus facile à déplacer, car il prend moins de place que sur une bobine. De plus l’écheveau lui permet de garder un ordre.

Ensuite le tissage qui consiste à entrelacer, les fils de chaîne et des fils de trame pour produire une toile. Les hommes tissaient dans la pièce principale de la maison. La préparation de la chaîne est le moment le plus délicat dans l’art du tissage. Il faut donner un ordre aux fils de chaîne, pour qu’ils ne se croisent pas avant d’arriver aux lices, ce qui rendrait le tissage impossible. Il faut aussi que les fils soient pliés (enroulés) sur l’ensouple avec une tension régulière.

Il faut différencier cette production familiale de l’activité des tisserands. Bon nombre d’entre eux recevaient le fil d’un marchand-lissier qui récupérait ensuite la toile de chanvre pour la vendre en France et à l’étranger, ramenant en échange épices ou produits divers. Actuellement, le défibrage du chanvre est mécanisé.

 

 

Métier à tisser le chanvre

 

Du berceau à la tombe

 

Les toiles les plus grossières que l’on tissait avaient des utilisations agricoles, l’on en faisait des sacs ou bien les « bourras« , ces grandes toiles dans lesquelles l’on transportait, en hiver, le foin de la grange à l’écurie ou bien qui étaient utilisées par les femmes lorsqu’elles allaient couper de l’herbe pour les lapins en bordure des prés. On fabriquait également les solides sacs qui pendaient de chaque côté du bât du mulet et qui étaient utilisés pour amener le fumier dans les champs.


Les toiles moins grossières servaient à la fabrication des vêtements. On distinguait la la toile la plus fine servant à fabriquer chemises et draps, de « l’étoupe » qui, mélangée à d’autres fibres, donnait l’étoffe appelée « tiretaine« . Cette toile-drap, dont la chaîne était en chanvre et la trame en laine, servait à la confection des pantalons et des robes de tous jours.

Des langes du nouveau-né aux linceuls dans lesquels l’on enterrait les morts, le paysan d’autrefois passait donc sa vie dans le chanvre, étoffe qui avait le mérite de permettre la vie autarcique qui était alors celle des villages.

 

 

 

D’autres utilisations…

 

 

Pelote de ficelle de chanvre de fabrication artisanale,
filé dans une ferme de l’Aveyron au XIX
ème siècle.

Cordage

 

Cordage en chanvre.

 

Les fibres de chanvre servent à faire des cordes naturelles. En 1661, Colbert fait construire la Corderie royale de Rochefort pour pouvoir fabriquer en France les lourds cordages des navires. La partie centrale du bâtiment permettait de confectionner des cordages de chanvre d’une encablure de long, soit près de 200 m. Leur diamètre pouvait dépasser 20 cm.

Une corde de chanvre de 12 mm de diamètre a une charge de rupture d’environ 1100 kg. Cette fibre permet aussi de confectionner tout simplement de la ficelle.

 

 

Machine à tresser les cordes à la Corderie Royale de Rochefort

 

 

Papier

Le chanvre est ou a été utilisé dans la fabrication de divers papiers. Le chanvre est utilisé notamment dans les billets de banque, le papier bible et le papier à cigarette.

 

Élevage et agriculturePapier

 

La chènevotte sert à la fabrication de litières absorbantes pour animaux. Au potager, séchée et concassée, elle constitue un paillis qui a la réputation de présenter l’avantage de bloquer efficacement les limaces.

 

Construction et rénovation thermique du bâtiment

 

On peut fabriquer des murs isolants ou des dalles isolantes en béton de chanvre (mélange de chaux et de chènevotte). Le béton de chanvre est aussi utilisé en isolation soit extérieure soit intérieure de bâtiments existants. Ce matériaux permet une bonne « respiration » des murs existants grâce à sa très bonne « perspirance », capacité à réguler la vapeur d’eau. La laine de chanvre est aussi un très bon isolant thermique, concurrentiel des laines minérales (laine de verre) parce qu’elle ne pose pas de problème sanitaire (amiante et laine de verre sont cancérigènes parce que constituées de fibres extrêmement petites, capables de pénétrer très loin dans les bronches). Des productions de blocs de chanvre se développent en Isère et en Champagne-Ardenne (première région productrice européenne), notamment.

 

Transport

 

Vers 1940, Ford expérimente une voiture avec une carrosserie en chanvre : la Hemp Body Car. L’idée est reprise dans les années 2010 par un constructeur canadien de véhicules électriques. Diesel utilisait l’huile de chanvre (ainsi que d’autres huiles végétales) comme carburant pour son moteur. Mercedes équipera la Mercedes Classe A de pare-chocs à base de chanvre.



Utilisation des graines

 

La graine de chanvre est appelée chènevis. On tire des chènevis de nombreux produits alimentaires. On l’utilise pour ses propriétés nutritives, sous forme d’huile ou de graines. Ces deux éléments du chanvre ont été consommés couramment jusqu’au XIXe siècle en France. Ils commencent depuis peu à y être redistribués. Le chènevis contient entre autres – 32 % de glucides dont 83 % de fibres, 32 % de lipides et 23 % de protéines, sources des 8 acides aminés essentiels. De plus, ces proportions sont idéales pour l’alimentation humaine et animale.



Huile

 

  • Alimentation : l’huile obtenue par pressage des chènevis jouit d’une excellente réputation diététique, en raison de sa teneur en acides gras de type oméga 3 (dont des oméga 3 SDA) et oméga 6 GLA (Acides Gamma Linoléique) ainsi qu’une faible teneur en Acides Gras Saturés. Non-filtrée, elle a une couleur verte plus ou moins foncée selon les variétés. Elle a un goût de noisette pour certains. On la trouve en vente dans les boutiques bio ou naturelles et des boutiques spécialisées de vente d’huile, producteurs et revendeurs et depuis peu certains supermarchés. En 2010, son prix de vente moyen est proche de vingt-cinq à quarante euros, rapportée au litre. Les contenants trouvés sont de vingt-cinq centilitres.
  • Combustible pour moteur (utilisé notamment par Rudolf Diesel, lors de la création de son moteur Diesel, le gazole arrivera bien plus tard). En 1937, Henry Ford a créé la Hemp Body Car, une voiture en grande partie faite de chanvre et alimenté par l’éthanol de chanvre.
  • Peintures, vernis, encres et autres produits techniques : l’huile tirée de la graine du chanvre est siccative, à l’instar de l’huile de lin.
  • Cosmétiques : en raison de son équilibre en acides gras poly-insaturés, l’huile de chanvre est très nourrissante pour la peau. La présence d’oméga 3 lui confère des propriétés anti-inflammatoires, anti-desquamantes (peaux très sèches). Elle renforce et contribue à diminuer les pertes d’eau transcutanées. L’utilisation d’une huile raffinée permet d’obtenir des émulsions sans odeur désagréable et stables dans le temps.

 

Farine

 

Les chènevis peuvent être broyés pour obtenir la farine de chanvre, qui ne contient pas de gluten auquel de nombreuses personnes sont allergiques.

 

Protéines de chanvre

 

Le tourteau de pression – donc partiellement déshuilé – provenant de chènevis décortiqués peut être traité pour concentrer les protéines à diverses teneurs (30%, 50% et 70%). Les protéines de chanvre présentent un indice de qualité de 92 et sont très digestes. Ce produit ne contient pas de gluten.

Certains produits incorporent des coques broyées provenant des graines pour augmenter la teneur en fibres.

 

Boissons

 

Il existe, d’autre part, différentes boissons utilisant du chanvre (limonade de chanvre, bière chanvrée, sirop de chanvre, thé de chanvre,lait de chanvre). À la fin des années 1990, au confluent du renouveau du chanvre et de l’essor des microbrasseries sont apparues les bières de chanvre. Les inflorescences femelles de chanvres à faible teneur en THC y remplacent le houblon. Elle apportent amertume et parfums (notes citronnées, poivrées).



Alimentation animale

 

Des chènevis sont incorporés aux mélanges pour oiseaux domestiques (canaris, perruches), aux côtés de graines d’alpiste et de millet. Le chènevis est également utilisé comme amorce pour la pêche au gardon et à la brême. Une fois trempées et cuites, les graines sont enfilées sur l’hameçon où elles servent d’appât. Enfin, les tourteaux (résidus de l’extraction de l’huile), riches en protéine, peuvent être avantageusement valorisé en alimentation du bétail, en particulier des vaches laitières.



Histoire

 

Le chanvre est une des cultures les plus anciennes de l’humanité; son utilisation date de près de 10000 ans soit bien avant la métallurgie du cuivre (- 4000 avant J.C.). Le chanvre fut très largement utilisé par le passé et il côtoie l’être humain depuis le Néolithique. Des traces archéologiques de son utilisation ancienne par l’homme ont d’abord été trouvées en Chine, dans l’un des foyers de la révolution agricole néolithique. Les fouilles du site néolithique de Xianrendong (dans le Jiangxi), daté de 8000 av. J.-C. ont ainsi livré de la céramique, certains pots décorés de fibres spiralées de chanvre. Puis d’autres traces ont été trouvées de l’Europe au Japon, plus anciennes encore. L’origine géographique du chanvre n’est pas certaine : plaines de l’Asie centrale dans le secteur du lac Baïkal pour certains, région moyenne du fleuve Jaune en Chine pour d’autres, ou encore contreforts indiens de l’Himalaya. Plusieurs études archéo-botaniques récentes suggèrent son apparition dans certains foyers préhistoriques au même moment, à la fois au Japon et en Europe de l’Est entre il y a environ -11500 et -10200 ans.

Il s’agirait donc d’une des premières plantes domestiquées par l’homme, probablement tout à la fois pour ses fibres solides, ses graines oléagineuses nourrissantes et les propriétés médicinales de sa résine.

Les données paléobotaniques récentes, basées sur les collectes de pollen, fruits et fibres de cannabis dans les fouilles archéologiques montrent que durant un court laps de temps, à la fin de la dernière ère glaciaire, deux groupes humains ont commencé à cultiver et utiliser, indépendamment une nouvelle plantes, le cannabis. Une étude archéologique du cannabis a aussi mis en relation une intensification de la consommation en Asie orientale, avec la montée du commerce transcontinental au tout début de l’âge du bronze, il y a environ 5000 ans.

C’est le moment ou les Yamnaya (nom donné au peuple vivant alors dans le centre de l’Eurasie et considéré comme l’une des trois tribus principales ayant fondé la civilisation européenne) se sont dispersés vers l’est ; Peut être grâce à la maîtrise de l’équitation qui a permis d’ouvrir des routes commerciales plus régulières et longues, ils pourraient à cette occasion avoir répandu l’usage du cannabis (comme fibre textile et peut-être ses usages médicaux ou psychoactifs), dans toute l’Eurasie. Il a toutefois peu à peu été interdit ou fortement réglementé au cours du XXe siècle en raison de ses propriétés psychotropes

Vingt sept siècles avant J.C., les Chinois cultivaient le chanvre pour sa fibre et ses propriétés médicinales. Le chanvre originaire d’Asie centrale s’est répandu vers la Chine, toute l’Asie et le bassin méditerranéen.

Entre 2300 et 1000 avant J.C., des tribus nomades venant d’Asie centrale et de Perse disséminent le chanvre du Moyen-Orient à la pointe de l’Europe occidentale de l’Égypte jusqu’en Inde. Les usages de la vie quotidienne sont avérés (textiles, huile, alimentation…)

Aux alentours du début de notre ère, dans le domaine gréco-latin, le médecin botaniste grec Dioscorides décrit dans De Materia Medica (Ier siècle), un kannabis emeros (femelle), identifié comme le Cannabis sativa :

« Le cannabis est une plante de grande utilité qui permet de tresser des cordes très solides… Mangé en grande quantité, il empêche de concevoir des enfants. Le jus de la plante verte est bon contre le mal d’oreille… »

Le cannabis était connu des Scythes, pour lesquels l’historien grec Hérodote (450 av. J.-C.) témoigne d’un usage courant en tant que textile. Il y décrit au même titre des séances de fumigation collective. Les Scythes dressaient de petites tentes de laine serrée où ils organisaient des bains de vapeur à partir de fleurs de chanvre brûlées dans un vase contenant des pierres rougies qui entraînaient la confusion des participants. Un archéologue soviétique, le professeur Sergueï Ivanovitch Roudenko, a confirmé l’utilisation courante du cannabis par les Scythes avec la découverte en 1929 sur le site de Pazyryk d’un chaudron de bronze rempli de graines de chanvre carbonisées, ainsi que des vêtements de chanvre et des encensoirs métalliques. Ces peuplades nomades, qui ne pratiquaient pas l’agriculture, ont probablement joué un rôle dans la diffusion du chanvre, à travers leurs migrations dans les steppes eurasiennes. Le chanvre est en effet une plante rudérale, qui colonise les habitats anthropisés (perturbés par l’homme). Elle est écologiquement adaptée aux milieux ouverts (donc ensoleillés), aux sols riches en azote (à cause des déjections des troupeaux), caractéristiques des abords de campements.

Depuis l’Antiquité, les peuples germaniques cultivaient également le chanvre dont les fibres servaient à la fabrication de vêtements et de cordes pour les bateaux. Ainsi, à Eisenberg dans le Thuringe, des fouilles archéologiques ont mis au jour des semis de chanvre à côté de poteries datant de 5500 av. J.-C.

Dans l’Empire romain, on retrouve la trace du chanvre dans plusieurs écrits, comme ceux de Pline l’Ancien. Celui-ci y consacre un paragraphe dans son Histoire naturelle (livre XIX traitant de la culture du lin et de l’horticulture) où il donne de précieux conseils en matière de choix variétal, date de semis, de récolte, etc. Galien met en garde contre cette plante : « Certains mangent les graines frites avec des sucreries. J’appelle sucrerie les nourritures servies au dessert pour inciter à boire. Les graines apportent une sensation de chaleur et si consommées en grandes quantités, affectent la tête en lui envoyant des vapeurs chaudes et toxiques ». Au IIe siècle, les Romains vont introduire la culture du chanvre en Gaule avec celle du seigle, de la gesse et de la vesce. La fouille archéologique de la villa de Saint-Romain de Jalionas (Isère) met ainsi à jour plusieurs aires de rouissage du chanvre. Le plant de chanvre doit en effet subir une décomposition partielle afin que le ciment pectique et les fibres ligneuses se désolidarisent des fibres de cellulose. L’immersion des pieds dans l’eau permet d’accélérer ce processus. D’autres découvertes archéologiques, aussi bien dans la région de Marseille que dans le Sud-Ouest (site de Al Poux dans le Lot) laissent cependant supposer que le chanvre était cultivé et utilisé en Gaule bien avant la romanisation.

L’usage textile du chanvre à l’époque biblique chez les Hébreux est aujourd’hui documenté. Un débat reste cependant ouvert quant à la citation explicite ou implicite du chanvre dans la Bible hébraïque.

Au Moyen Âge, l’empereur Charlemagne va fortement encourager la culture du chanvre. Il s’agit alors d’une denrée stratégique, gage de prospérité, en raison des nombreuses utilisations permises par sa fibre : vêtements, cordages, voiles.

À la même époque, les Arabes apprennent de prisonniers de guerre chinois le secret de la fabrication du papier, après la bataille d’Atlah. Celui-ci est obtenu à partir d’écorce de mûrier et de fibres de chanvre.

Une seconde vague de diffusion de la culture du chanvre accompagnera donc les invasions arabes, en Afrique du Nord, puis en Espagne, en France, en Sicile. Les Arabes ont en effet perfectionné la technique de fabrication du papier à partir de chanvre, papier qui sert de moyen de diffusion des manuscrits arabes, dont le Coran, mais également de nombreux textes de portée scientifique (mathématique, astronomie, médecine, etc.), littéraire ou philosophique. Ils installent leurs moulins à papier en Andalousie au début du XIe siècle.

Chrétien de Troyes en parle dans le roman de Perceval (XIIIe siècle) : « … ma bonne grosse chemise de chanvre ... ». Les lieux dits « chenevières » ou « canebières » en sont témoins avec leur étymologie commune venant de l’ancien français : cheneve, chanvre.

À la Renaissance, l’Église s’attaque à la sorcellerie en s’appuyant sur les tribunaux de l’Inquisition. Le pape Innocent VIII assimile en effet la sorcellerie à une hérésie. La bulle papale Summis Desiderantis Affectibus, en 1484, donne le chanvre pour un sacrement du sabbat de Satan. Cette décision va contribuer à marginaliser un savoir populaire ancestral en matière de plantes médicinales. Mais la même année est imprimée la première édition illustrée de l’Herbarius pseudo-Apulée, dans lequel apparaît le chanvre. Paracelse décrit également la plante dans plusieurs de ses travaux. Et plusieurs célèbres herbiers allemands, dus à Otto Brunfels, Hieronymus Bock et Leonhart Fuchs contiennent des planches dédiées au chanvre. François Rabelais, dans son Tiers Livre décrit sur le mode humoristique une plante merveilleuse qui ressemble à s’y méprendre au chanvre : le Pantagruélion

Au XVIIIesiècle, le chanvre sert à fabriquer des toiles pour la maison, les vêtements. La filature est souvent réalisée à la maison à l’aide d’une quenouille. Les plus beaux fils sont utilisés pour les draps et les vêtements. A cette fin, ils sont blanchis dans de l’eau bouillante versée sur des cendres (opération répétée plusieurs fois). Avec les déchets de filasse, on fait du linge grossier de cuisine et des sacs.

La marine à voiles constitue un débouché primordial : les voiles et la corderie ; un navire à voiles portait plusieurs tonnes de cordages de chanvre. La fabrication pour la marine entraîne la culture de variétés grossières et robustes.

Aux XVIIe et XVIIIe siècles, les puissances européennes se disputent la suprématie navale et le contrôle des points de passage stratégiques, alors que les échanges maritimes intercontinentaux sont en plein essor. Les navires sont alors propulsés par la seule force du vent. Le chanvre est utilisé pour fabriquer les cordages, les câbles, les échelles et les haubans, ainsi que les voiles. « Un navire de taille moyenne utilise 60 à 80 tonnes de chanvre sous forme de cordages et 6 à 8 tonnes sous forme de voile, par an », relève le professeur agrégé d’histoire Serge Allegret. Le chanvre a donc pendant cette période la place d’un matériau stratégique, au même titre que le charbon quand apparaîtront les machines à vapeur ou le pétrole aujourd’hui. En France, à la suite de la création de l’arsenal de Rochefort par décision de Colbert en 1661, une corderie royale fut construite et achevée en 1669, associée à l’arsenal de Rochefort-sur-Mer ; il réalise un important travail pour sécuriser l’approvisionnement en chanvre national. Il fallait de nombreux ouvriers, du matériel robuste et le savoir-faire du Maître Cordier pour fabriquer les lourds cordages des navires dont le diamètre pouvait dépasser vingt centimètres. La partie centrale du bâtiment permettait de confectionner des cordages de chanvre d’une encablure de long, soit près de 200 m. Leur diamètre pouvait dépasser 20 cm. Une corde de chanvre de 12 mm de diamètre a une charge de rupture d’environ 1100 kg. Cette fibre permet aussi de confectionner tout simplement de la ficelle.

Les marines hollandaise et anglaise sont équipées de voiles tissées aux Pays-Bas à partir de chanvre d’excellente qualité produit en Livonie (actuels Pays Baltes). Grâce à la technique du tissage à un seul fil, les toiles obtenues sont plus performantes (solides, légères et souples). Aux grandes heures de la marine à voile, l’approvisionnement en chanvre des nations européennes revêtait un intérêt stratégique.

Diderot et d’Alembert dans leur Encyclopédie détaillent la culture et le travail du chanvre, et mentionnent ses propriétés psychotropes : « Le Chanvre est cultivé, comme plante textile, dans un grand nombre de pays. Toutes ses parties exhalent une odeur forte, extrêmement désagréable, et les émanations qui se dégagent des chènevières causent des vertiges, des éblouissements, en un mot une sorte d’ivresse. […]  ».

Le chanvre français grossier et cassant va être détrôné par des chanvres importés de meilleure qualité ainsi que par des textiles exotiques qui arrivent sur le marché en quantité dès la fin du XIXe siècle.

Le chanvre aurait été présent aux Amériques avant la colonisation : Jacques Cartier rapporte en avoir vu, dans son journal de voyage. Les colons européens entreprirent la culture du chanvre à grande échelle. George Washington, premier président des États-Unis d’Amérique, en cultivait sur sa plantation, comme en témoigne son journal. En 1794, il donne l’instruction suivante à ses hommes : « Prenez le plus possible de graines de chanvre indien et semez-en partout ». Au Canada également, plusieurs mesures sont prises pour favoriser le développement de cette industrie : subventions, incitations fiscales, distribution de graines aux fermiers en 1801…. Quoi de moins étonnant que l’utilisation du papier de cannabis pour imprimer la déclaration d’indépendance.

De 1740 à 1807, le commerce du chanvre peut être comparé à celui du pétrole aujourd’hui et la Russie grâce au servage produit près de 80 % du cannabis mondial. La marine anglaise s’approvisionne à plus de 90% auprès de la Russie et seul le chanvre résiste aux contraintes de la mer.

Dans le calendrier républicain, le Chanvre était le nom attribué au 21e jour du mois de vendémiaire.

En 1807, Napoléon et le Tsar Alexandre premier signent le traité de Tilsit dans lequel la Russie s’engage à respecter le blocus et à cesser tout commerce avec l’Angleterre. Il ne sera pas respecté. Napoléon décide alors de rassembler la grande armée et de couper par la force la route du chanvre, s’ensuivra la défaite de l’hiver 1812.

Des gravures sur cuivre du XIXe siècle montrent que les berges du Rhin étaient, à l’époque, couvertes de grands champs de chanvre.

Concurrencé dans son usage textile par les fibres exotiques (jute, sisal, kenaf), et par les fibres synthétiques (nylon), concurrencé dans l’industrie papetière par le bois, le chanvre décline rapidement au cours de la première moitié du XXe siècle. En France, par exemple, 176 000 hectares sont emblavés en 1840.

En 1916, aux États-Unis, une étude du département d’état à l’agriculture trouve une technique pour faire du papier de chanvre directement avec la plante sans passer par les chiffons et sans pollution comme avec le bois. De plus, le chanvre fournit quatre fois plus de pâte à papier que le bois avec de quatre à sept fois moins de pollution. Cette technique devait supprimer environ 70% de la production de papier de bois. Le gouvernement décide de garder ce rapport confidentiel jusqu’à l’invention imminente de la machine à moissonner et défibrer. Dès lors que les machines à récolter et à traiter le chanvre devenaient opérationnelles et financièrement abordables, le bois prenait une place secondaire au grand dam des très puissantes sociétés d’exploitants forestiers et géants de la presse dont la Hearst Paper Manufacturing division, Kimberley Clark, St Regis…. qui risquaient des pertes de milliards de dollars, voire la faillite .

En 1937, DuPont de Nemours fait breveter des procédés de fabrication d’un plastique, le nylon, à partir du pétrole et du charbon ainsi qu’une nouvelle pâte à papier au bisulfite. Ces deux procédés assureront 80% de la croissance du groupe pendant les 50 ans à venir. Il va sans dire que les entreprises comme Hearst, DuPont et la banque Mellon ne tenaient pas au papier de chanvre. Le conseiller aux finances Herman Oliphant, aidé par les hommes de loi du lobby industriel, prépare un texte de loi prohibitionniste camouflé en impôt indirect voté le 14 avril 1937, le «  Marihuana Tax act ». Il ne s’agit pas d’interdire mais juste de taxer de manière dissuasive toute la filière. On trouve à la tête de cette commission un ami de DuPont, ça aide…

En 1939, la superficie cultivée n’est plus que de 3400 hectares. Au cours de la Seconde Guerre mondiale, le gouvernement américain relance la production de fibres de chanvre et réalise même un film de propagande intitulé Hemp for Victory (Le chanvre pour la Victoire). Lors du débarquement de Normandie, les Rangers commandés par le lieutenant-colonel James E. Rudder étaient équipés de grappins et de cordes de chanvre pour escalader les falaises de la pointe du Hoc. « Les cordes de chanvre alourdies par l’humidité se révélèrent inutilisables ».

Dans les années 1960, l’INRA et la Fédération nationale des producteurs de chanvre (FNPC) démarrent un programme de sélection variétale pour mettre au point des cultivars monoïques et à faible teneur en THC. Ces travaux permettent de relancer la culture du chanvre agricole dans plusieurs pays européens, car ils lèvent l’obstacle technique de l’important dimorphisme sexuel de cette plante, ainsi que les objections en rapport avec l’usage psychotrope.

En 1964, un laboratoire israélien dirigé par le professeur Raphael Mechoulam isole le THC, responsable de la majeure partie des effets psychotropes du cannabis.

À partir de 1971, la CEE encourage financièrement la culture de chanvre par les agriculteurs pour la production de fibres, dans le cadre de l’organisation commune de marché (OCM) portant sur le lin et le chanvre.

L’essor des préoccupations environnementales, depuis la fin du XXe siècle, tend à stimuler le développement de filières chanvre, dans des domaines aussi variés que le textile, l’habitat, l’alimentation, les bio-carburants… Entre 1996 et 1999, les superficies cultivées en chanvre dans l’UE ont plus que doublé, passant de 13,7 à 32,3 milliers d’hectares, principalement du fait de l’Espagne.

 

 

La culture du chanvre au XVIIIe siècle

 

 

Source : D. Diderot et J. B. D’Alembert, Encyclopédie ou Dictionnaire des Sciences, des Arts et des Métiers, 1772.E

 

Le chanvre

 

* Le chanvre est une plante annuelle : il ne se plaît pas dans les pays chauds ; les climats tempérés lui conviennent mieux, et il vient fort bien dans les pays assez froids, comme sont le Canada, Riga, etc. qui en fournissent abondamment, et de très-bon ; et tous les ans on emploie une assez grande quantité de chanvre de Riga en France, en Angleterre, et surtout en Hollande.

Le chanvre domestique dont il s’agit ici, est caractérisé par nos Botanistes de la manière suivante.

Ses feuilles disposées en main ouverte, naissent opposées les unes aux autres : ses fleurs n’ont point de pétales visibles ; la plante est mâle et femelle.


On la distingue donc en deux espèces, en mâle et en femelle ; ou en féconde qui porte des fruits, et en stérile qui n’a que des fleurs : l’une et l’autre viennent de la même graine :


Le chanvre à fruit, cannabis fructifera offic. cannabis sativa, cannabina foecunda.


Le chanvre à fleurs, cannabis florigera, offic. cannabis erratica, cannabis foemina, cannab. sterilis


Sa racine est simple, blanche, ligneuse, fibrée ; sa tige est quadrangulaire, velue, rude au toucher, creuse en-dedans, unique, haute de cinq ou six pieds, couverte d’une écorce qui se partage en filets : ses feuilles naissent sur des queues opposées deux à deux, elles sont divisées jusqu’à la queue en quatre, cinq, ou un plus grand nombre de segments étroits, oblongs, pointus, dentelés, veinés d’un vert foncé, rudes, d’une odeur forte et qui porte à la tête.


Les fleurs et les fruits naissent séparément sur différents pieds ; l’espèce qui porte les fleurs, s’appelle chanvre à fleurs : quelques-uns la nomment stérile ou femelle, mais improprement ; et l’autre espèce qui porte les fruits, est appelée chanvre à fruits, et par quelques-uns, chanvre mâle.


Les fleurs dans le chanvre qu’on nomme improprement stérile, naissent des aisselles des feuilles sur un pédicule chargé de quatre petites grappes placées en sautoir : elles sont sans pétales, composées de cinq étamines, surmontées de sommets jaunâtres, renfermées dans un calice à cinq feuilles purpurines en-dehors, blanchâtres en-dedans.


Les fruits naissent en grand nombre le long des tiges sur l’autre espèce, sans aucune fleur qui ait précédé : ils sont composés de pistils enveloppés dans une capsule membraneuse d’un jaune verdâtre : ces pistils se changent en une graine arrondie, un peu aplatie, lisse, qui contient sous une coque mince, d’un gris brun, luisant, une amande blanche, tendre, douce et huileuse, d’une odeur forte, et qui porte à la tête quand elle est nouvelle : cette amande est renfermée dans une capsule ou pellicule d’une seule pièce, qui se termine en pointe. Ces graines produisent l’une et l’autre espèce.


Il faut pour le chanvre une terre douce, aisée à labourer, un peu légère, mais bien fertile, bien fumée et amendée. Les terrains secs ne sont pas propres pour le chanvre ; il n’y lève pas bien ; il est toujours bas, et la filasse y est ordinairement trop ligneuse, ce qui la rend dure et élastique ; défauts considérables, même pour les plus gros ouvrages.


Néanmoins dans les années pluvieuses il réussit ordinairement mieux dans les terrains secs dont nous parlons, que dans les terrains humides : mais ces années sont rares ; c’est pourquoi on place ordinairement les chènevières le long de quelque ruisseau ou de quelque fossé plein d’eau, de sorte que l’eau soit très-près, sans jamais produire d’inondation : ces terres s’appellent dans quelques provinces des courties ou courtils, et elles y sont très-recherchées.


Tous les engrais qui rendent la terre légère, sont propres pour les chanvres ; c’est pourquoi le fumier de cheval, de brebis, de pigeon, les curures de poulaillers, la vase qu’on retire des mares des villages, quand elle a mûri du temps, sont préférables au fumier de vache et de bœuf ; et je ne sache pas qu’on y emploie la marne.


Pour bien faire il faut fumer tous les ans les chènevières ; et on le fait avant le labour d’hiver, afin que le fumier ait le temps de se consumer pendant cette saison, et qu’il se mêle plus intimement avec la terre lorsqu’on fait les labours du printemps.


Il n’y a que le fumier de pigeon qu’on répand aux derniers labours, pour en tirer plus de profit : cependant quand le printemps est sec, il y a à craindre qu’il ne brûle la semence ; ce qui n’arriverait pas si on l’avait répandu l’hiver : mais en ce cas il faudrait en mettre davantage, ou en espérer moins de profit.


Le premier et le plus considérable de ces labours se donne dans le mois de Décembre et de Janvier : on le nomme entre-hiver. Il y en a qui le font à la charrue, en labourant par sillons ; d’autres le donnent à la houe ou à la mare, formant aussi des sillons, pour que les gelées d’hiver ameublissent mieux la terre : il y en a aussi qui le font à la bêche ; il est sans contredit meilleur que les autres, mais aussi plus long et plus pénible ; au contraire du labour à la charrue, qui est le plus expéditif, et le moins profitable.


Le printemps on prépare la terre à recevoir la semence, par deux ou trois labours qu’on fait à quinze jours ou trois semaines les uns des autres ; les faisant toujours de plus en plus légers, et travaillant la terre à plat.


Il est bon de remarquer que ces labours peuvent, comme celui d’hiver, être faits à la charrue, à la houe, ou à la bêche.


Enfin quand après tous ces labours il reste quelques mottes, on les rompt avec des maillets ; car il faut que toute la chènevière soit aussi unie et aussi meuble que les planches d’un parterre.


Dans le courant du mois d’Avril on sème le chènevis, les uns quinze jours plutôt que les autres, et tous courent des risques différents : ceux qui sèment de bonne heure, ont à craindre les gelées du printemps, qui font beaucoup de tort aux chanvres nouvellement levés ; et ceux qui sement trop tard, ont à craindre les sécheresses, qui empêchent quelquefois le chènevis de lever.


Le chènevis doit être semé dru, sans quoi le chanvre deviendrait gros, l’écorce en serait trop ligneuse, et la filasse trop dure ; ce qui est un grand défaut : cependant quand il est semé trop dru, il reste beaucoup de petits pieds qui sont étouffés par les autres, et c’est encore un inconvénient. Il faut donc observer un milieu, qu’on atteint aisément par l’usage ; et ordinairement les chènevières ne sont trop claires que quand il a péri une partie de la semence, ou par les gelées, ou par la sécheresse, ou par d’autres accidents.


Il est bon de remarquer que le chènevis est une semence huileuse ; car ces sortes de semences rancissent avec le temps, et alors elles ne lèvent plus ; c’est pourquoi il faut faire en sorte de ne semer que du chènevis de la dernière récolte : quand on en sème qui a deux ans, il y a bien des grains qui ne lèvent pas ; et de celui qui serait plus vieux, il en lèverait encore moins.


Lorsque le chènevis est semé, il le faut enterrer ; et cela se fait ou avec une herse, si la terre a été labourée à la charrue ; ou avec un râteau, si elle a été façonnée à bras.


Malgré cette précaution, il faut garder très-soigneusement la chènevière jusqu’à ce que la semence soit entièrement levée, sans quoi quantité d’oiseaux, et surtout les pigeons, détruisent tout, sans épargner les semences qui seraient bien enterrées. Il est vrai que les pigeons et les oiseaux qui ne grattent point, ne font aucun tort aux grains de blé qui sont recouverts de terre ; mais la différence qu’il y a entre ces deux semences, c’est que le grain de blé ne sort point de terre avec l’herbe qu’il pousse, au lieu que le chènevis sort tout entier de terre quand il germe ; c’est alors que les pigeons en font un plus grand dégât, parce qu’apercevant le chènevis, ils arrachent la plante et la font périr.


Les chènevières qui ont coûté beaucoup de peine et de travail jusqu’à ce que le chènevis soit levé, n’en exigent presque plus jusqu’au temps de la récolte ; on se contente ordinairement d’entretenir les fossés, et d’empêcher les bestiaux d’en approcher.


Cependant quand les sécheresses sont grandes, il y a des gens laborieux qui arrosent leurs chènevières ; mais il faut qu’elles soient petites, et que l’eau en soit à portée ; à moins qu’on ne put les arroser par immersion, comme on le pratique en quelques endroits.


Nous avons dit qu’il arrivait quelquefois des accidents au chènevis, qui faisaient que la chènevières était claire, et nous avons remarqué qu’alors le chanvre était gros, branchu, et incapable de fournir de belle filasse ; dans ce cas, pour tirer quelque parti de la chènevières, ne fût-ce que pour le chènevis qui n’en sera que meilleur, il faudra la sarcler, pour empêcher les mauvaises herbes d’étouffer le chanvre.

Vers le commencement d’août les pieds de chanvre qui ne portent point de graine, qu’on appelle mal-à-propos chanvre femelle, et que nous appellerons le mâle, commencent à jaunir à la cime et à blanchir par le pied ; ce qui indique qu’il est en état d’être arraché : alors les femmes entrent dans la chènevières, et tirent tous les pieds mâles dont elles font des poignées qu’elles arrangent au bord du champ, ayant attention de n’endommager le chanvre femelle que le moins qu’il est possible ; car il doit rester encore quelque temps en terre pour achever d’y mûrir sa semence.


Nous avons dit qu’en arrachant le chanvre mâle on en formait des poignées : on a soin que les brins qui forment une poignée soient à-peu-près d’une égale longueur, et on les arrange de façon que toutes les racines soient égales ; enfin chaque poignée est liée avec un petit brin de chanvre.


On les expose ensuite au soleil pour faire sécher les feuilles et les fleurs ; et quand elles sont bien sèches, on les fait tomber en frappant chaque poignée contre un tronc d’arbre ou contré un mur, et on joint plusieurs de ces poignées ensemble, pour former des bottes assez grosses qu’on porte au routoir.

Le lieu qu’on appelle routoir, et où l’on donne au chanvre cette préparation qu’on appelle rouir ou naiser, est une fosse de trois ou quatre taises de longueur, sur deux ou trois taises de largeur, et de trois ou quatre pieds de profondeur, remplie d’eau : c’est souvent une source qui remplit ces routoirs ; et quand ils sont pleins, ils se déchargent de superficie par un écoulement qu’on y a ménagé.

Il y a des routoirs qui ne sont qu’un simple fossé fait sur le bord d’une rivière ; quelques-uns même, au mépris des ordonnances, n’ont point d’autres routoirs que le lit même des rivières : enfin quand on est éloigné des sources et des rivières, on met rouir le chanvre dans les fossés pleins d’eau et dans les mares. Examinons maintenant ce qu’on se propose en mettant rouir le chanvre.


Pour rouir le chanvre, on l’arrange au fond de l’eau, on le couvre d’un peu de paille, et on l’assujettit sous l’eau en le chargeant avec des morceaux de bois et des pierres, comme on voit Pl. I. première division, en q.


On le laisse en cet état jusqu’à ce que l’écorce qui doit fournir la filasse se détache aisément de la chènevotte qui est au milieu, ce qu’on reconnaît en essayant de temps en temps si l’écorce cesse d’être adhérente à la chènevotte ; et quand elle s’en détache sans aucune difficulté, on juge que le chanvre est assez roui, et on le tire du routoir.


L’opération dont nous parlons fait quelque chose de plus que de disposer la filasse à quitter la chènevotte ; elle affine et attendrit la filasse.


Il est dangereux de tenir trop longtemps le chanvre dans l’eau ; car alors il rouit trop, le chanvre est trop pourri, et en ce cas la filasse n’a plus de force : au contraire, quand le chanvre n’a pas été assez longtemps dans l’eau, l’écorce reste adhérente à la chènevotte ; la filasse est dure, élastique, et on ne la peut jamais bien affiner. Il y a donc un milieu à garder ; et ce milieu ne dépend pas seulement du temps qu’on laisse le chanvre dans l’eau, mais encore,


1°. De la qualité de l’eau ; il est plutôt roui dans l’eau dormante que dans celle qui coule, dans l’eau qui croupit que dans celle qui est claire.


2°. De la chaleur de l’air ; il se rouit plutôt quand il fait chaud que quand il fait froid.

3°. De la qualité du chanvre ; celui qui a été élevé dans une terre douce, qui n’a point manqué d’eau, et qu’on a cueilli un peu vert, est plutôt roui que celui qui a cru dans une terre forte ou seche, et qu’on a laissé beaucoup mûrir.


En général on croit que quand le chanvre reste peu dans l’eau pour se rouir, la filasse en est meilleure ; c’est pour cela qu’on prétend qu’il ne faut rouir que par les temps chauds : et quand les automnes sont froides, il y en a qui remettent au printemps suivant à rouir leur chanvre femelle ; quelques-uns même préfèrent de rouir leur chanvre dans de l’eau dormante, même dans de l’eau croupissante, plutôt que dans de l’eau vive.

M. Duhamel, auteur du traité de Corderie, d’où nous tirons cet article abrégé, mit rouir du chanvre dans différentes eaux, et il lui parut que la filasse du chanvre qui avait été roui dans l’eau croupissante, était plus douce que celle du chanvre qu’on avait roui dans l’eau courante ; mais la filasse contracte dans les eaux qui ne coulent point, une couleur désagréable, qui ne lui cause à la vérité aucun préjudice, car elle n’en blanchit que plus aisément : cependant cette couleur déplaît, et la filasse en est moins marchande ; c’est pourquoi on fait passer, autant qu’on le peut, au travers des routoirs un petit courant d’eau qui renouvelle celle du routoir, et qui empêche qu’elle ne se corrompe.

Il est évident par ce que nous avons dit, qu’on ne peut pas fixer le temps qu’il faut laisser le chanvre dans le routoir, puisque la qualité du chanvre, celle de l’eau et la température de l’air, ralentissent ou précipitent cette opération.


On a coutume de juger que le chanvre a été suffisamment roui, en éprouvant si l’écorce se lève aisément et de toute sa longueur de dessus la chènevotte ; outre cela il faut avouer que la grande habitude des paysans qui cultivent le chanvre, les aide beaucoup à ne lui donner que le degré de roui qui lui convient : cependant ils s’y trompent quelquefois, et il m’a paru qu’il y avait des provinces où l’on était dans l’usage constant de rouir plus que dans d’autres.


Il est bon d’être averti qu’il faut éviter de mettre rouir le chanvre dans certaines eaux où il y a quantité de petites chevrettes ; car ces animaux le coupent, et la filasse est presque perdue.


En parlant de la récolte du chanvre mâle, nous avons dit qu’on laissait encore quelque temps le chanvre femelle en terre pour lui donner le temps de mûrir sa semence ; mais ce délai fait que le chanvre femelle mûrit trop, son écorce devient trop ligneuse ; et il s’ensuit que la filasse qu’il fournit, est plus grossière et plus rude que celle du mâle : néanmoins quand on voit que la semence est bien formée, on arrache le chanvre femelle comme on a fait le mâle, et on l’arrange de même par poignées.

Dans certains pays, pour achever la maturité du chènevis, on fait à différents endroits de la chènevières des fosses rondes de la profondeur d’un pied et de trois à quatre pieds de diamètre, et on arrange dans le fond de ces fosses les poignées de chanvre bien serrées les unes auprès des autres, de telle sorte que la graine soit em-bas et la racine en-haut ; on les retient ensuite en cette situation avec des liens de paille, et on relève tout autour de cette grosse gerbe la terre qu’on avait tirée de la fosse, pour que les têtes du chanvre soient bien étouffées.


La tête de ce chanvre s’échauffe à l’aide de l’humidité qui y est contenue, comme s’échauffe un tas de foin vert ou une couche de fumier : cette chaleur acheve de mûrir le chènevis, et le dispose à sortir plus aisément de ses enveloppes.


Quand le chènevis a acquis cette qualité, on retire le chanvre de ces fosses, où il sèmerait si on l’y laissait plus longtemps.


Dans d’autres cantons où il y a beaucoup de chanvre, on ne l’enterre point, on se contente de l’arranger par tas tête contre tête ; et quelques jours après on travaille à en retirer le chènevis, comme nous allons l’expliquer.


Ceux qui ne font que de petites récoltes, étendent un drap par terre pour recevoir leur chènevis ; les autres nettoient et préparent une place bien unie sur laquelle ils étendent leur chanvre, en mettant toutes les têtes du même côté ; ils le battent légèrement, ou avec un morceau de bois, ou avec de petits fléaux : cette opération fait tomber la meilleure graine, qu’ils mettent à part pour la semer le printemps suivant ; mais il reste encore beaucoup de chènevis dans les têtes. Pour le retirer, ils peignent la tête de leur chanvre sur les dents d’un instrument qu’on appelle un égrugeoir, qu’on voit même Planc. même division, en r ; et par cette opération l’on fait tomber en même-temps et pêle-mêle, les feuilles, les enveloppes des semences, et les semences elles-mêmes : on conserve tout cela en tas pendant quelques jours, puis on l’étend pour le faire sécher ; enfin on le bat, et on nettoie le chènevis en le vannant et en le passant par le crible.


C’est cette seconde graine qui sert à faire l’huile de chènevis et à nourrir les volailles.


A l’égard du chanvre, on le porte au routoir, q, pour y souffrir la même préparation que le chanvre mâle.

Quand on a retiré le chanvre du routoir, on délie les bottes pour les faire sécher ; on les étend au soleil le long d’un mur, ou sur la berge d’un fossé, ou simplement à plat dans un endroit où il n’y ait point d’humidité : on a soin de les retourner de temps en temps ; et quand le chanvre est bien sec, on le remet en bottes pour le porter à la maison, où on le conserve dans un lieu sec jusqu’à ce qu’on veuille le tiller ou le broyer de la manière suivante.


Il y a des provinces où l’on tille tout le chanvre, et dans d’autres il n’y a que ceux qui en recueillent peu qui le tillent ; les autres le broient.


La façon de tiller le chanvre est si simple, que les enfants y réussissent aussi-bien que les grandes personnes : elle consiste à prendre les brins de chanvre les uns après les autres, à rompre la chènevotte, et à en détacher la filasse en la faisant couler entre les doigts. On voit même Planche, même division, cette opération, en s.


Ce travail parait un peu long ; néanmoins comme il s’exécute dans des moments perdus et par les enfants qui gardent les bestiaux, il n’est pas fort à charge aux familles nombreuses : mais il ferait perdre beaucoup de temps aux petites familles, qui ont bien plutôt fait de le broyer.


Avant que de broyer le chanvre, il le faut bien dessécher, ou, comme disent les paysans, le bien hâler ; pour cet effet, on a à une certaine distance de la maison un hâloir, qu’on voit même Planche, même division, en t : car il n’y a rien de si dangereux pour les incendies que de hâler dans les cheminées des maisons, comme quelques paysans le pratiquent : il y en a aussi qui mettent leur chanvre sécher dans leur four ; dans ce cas on n’a rien à craindre pour la maison, mais souvent le feu prend à leur chanvre, et on ne peut pas par ce moyen en dessécher une grande quantité. Le hâloir n’est autre chose qu’une caverne qui a ordinairement six à sept pieds de hauteur, cinq à six de largeur, et neuf à dix de profondeur ou de creux ; le dessous d’une roche fait souvent un très-bon hâloir. Il y en a de voûtés à pierres sèches ; d’autres qui sont recouverts de grandes pierres plates, ou simplement de morceaux de bois chargés de terre : chacun les fait à sa fantaisie. Mais tout le monde essaye de placer le hâloir à l’abri de la bise et au soleil de midi ; parce que le temps pour broyer est ordinairement par de belles gelées, quand on ne peut pas travailler à la terre.


Environ à quatre pieds au-dessus du foyer du hâloir, et à deux pieds de son entrée, on place trois barreaux de bois qui ont au plus un pouce de grosseur ; ils traversent le hâloir d’un mur à l’autre, et y sont assujettis : c’est sur ces morceaux de bois qu’on pose le chanvre qu’on veut hâler, environ de l’épaisseur d’un demi-pied.


Tout étant ainsi disposé, une femme attentive entretient dessous un petit feu de chènevottes ; je dis une femme attentive, parce qu’il faut continuellement fournir des chènevottes, qui sont bien-tôt consumées, entretenir le feu dans toutes les parties de l’âtre, et prendre garde que la flamme ne s’élève et ne mette le feu au chanvre, qui est bien combustible, surtout quand il y a quelque temps qu’il est dans le hâloir.



La même femme a encore soin de retourner le chanvre de temps en temps, pour que tout se dessèche également ; enfin elle en remet de nouveau à mesure que l’on ôte celui qui est assez sec pour être porté à la broie, qu’on voit même Pl. même division, en u.


La broie ressemble à un banc qui serait fait d’un soliveau de cinq à six pouces d’équarrissage sur sept à huit pieds de longueur, on creuse ce soliveau dans toute sa longueur, de deux grandes mortaises d’un bon pouce de largeur, qui le traversent de toute son épaisseur, et on taille en couteau les trois languettes qui ont été formées par les deux entailles ou grandes mortaises dont je viens de parler.

Sur cette pièce de bois on en ajuste une autre qui lui est assemblée à charnière par un bout, qui forme une poignée à l’autre bout, et qui porte dans sa longueur deux couteaux qui entrent dans les rainures de la pièce inférieure.


L’homme qui broie, prend de sa main gauche une grosse poignée de chanvre, et de l’autre la poignée de la mâchoire supérieure de la broie ; il engage le chanvre entre les deux mâchoires ; et en élevant et en baissant à plusieurs reprises et fortement la mâchoire, il brise les chènevottes : en tirant le chanvre entre les deux mâchoires, il oblige les chènevottes à quitter la filasse ; et quand la poignée est ainsi broyée jusqu’à la moitié, il la prend par le bout broyé pour donner la même préparation à celui qu’il tenait dans sa main.


Enfin quand il y a environ deux livres de filasse bien broyée, on la plie en deux, on tord grossièrement les deux bouts l’un sur l’autre ; et c’est ce qu’on appelle des queues de chanvre, ou de la filasse brute.


Les deux pratiques, savoir celle de tiller le chanvre, et celle de le broyer, ont chacune des avantages et des défauts particuliers.


On a coutume de dire qu’il faut plus rouir le chanvre qu’on destine à faire des toiles fines, que celui qu’on ne veut employer qu’à de grosses toiles ; que celui qu’on destine à faire des cordages, doit être le moins roui.


Nous avons dit que le chanvre qui n’était pas assez roui, était dur, grossier, élastique, et restait chargé de chènevottes : on verra dans la suite que ce sont-là de grands défauts pour faire de bons cordages.


Nous conviendrons néanmoins qu’on peut rouir un peu plus les chanvres qu’on destine à des ouvrages fins ; mais il ne faut pas espérer par ce moyen d’affiner beaucoup une filasse qui serait naturellement grossière, on la ferait plutôt pourrir : car il faut pour avoir de la filasse fine, que bien des choses concourent.


1°. Le terrain ; car, comme nous l’avons déjà remarqué, les terres trop fortes ou trop sèches ne donnent jamais une filasse bien douce ; elle est trop ligneuse, et par conséquent dure et cassante : au contraire si le terrain de la chènevières est trop aquatique, l’écorce du chanvre qu’on y aura recueilli, sera herbacée, tendre, et aisée à rompre, ce qui la fait tomber en étoupes. Ce sont donc les terrains doux, substantiels et médiocrement humides, qui donnent de la filasse douce, flexible et forte, qui sont les meilleures qualités qu’on puisse désirer.


2°. L’année ; car quand les années sont haleuses, la filasse est dure ; au contraire elle est souple et quelquefois tendre, quand les années sont fraîches et humides.


3°. La maturité ; car si le chanvre a trop resté sur pied, les fibres longitudinales de l’écorce sont trop adhérentes les unes aux autres, la filasse brute forme de larges rubans qu’on a bien de la peine à refendre, surtout vers le pied ; et c’est ce qu’on exprime en disant qu’une queue de chanvre a beaucoup de pattes : c’est le défaut de tous les chanvres femelles qu’on a été obligé de laisser trop longtemps sur pied pour y mûrir leurs semences ; au contraire si l’on arrache le chanvre trop vert, l’écorce étant encore herbacée, il y a beaucoup de déchet, et la filasse n’a point de force.


4°. La façon dont il a été semé ; car celui qui a été semé trop clair a l’écorce épaisse, dure, noueuse et ligneuse : au lieu que celui qui a été semé assez dru, a l’écorce fine.


5°. Enfin les préparations qu’on lui donne, qui consistent à le broyer, à l’espader, à le piler, à le ferrer et à le peigner, comme nous le rapporterons dans la suite.


Dans tout ce que nous avons dit jusqu’à présent, le chanvre a été le fruit de l’industrie des paysans, et il a fait une partie du travail de l’homme des champs ; c’est dans cet état où on l’appelle filasse en brin, ou filasse brute ; et dans les corderies, du chanvre simplement dit.


On apporte les chanvres par gros ballots, on les délie pour voir s’ils ne sont pas mouillés ou fourrés de mauvaises marchandises.


Il est important qu’ils ne soient pas mouillés,

1°. parce qu’ils en pèseraient davantage ; et comme on reçoit le chanvre au poids, on trouverait un déchet considérable quand il serait sec :

2°. si on l’entassait humide dans les magasins, il s’échaufferait et pourrirait. Il faut donc faire étendre et sécher les ballots qui sont humides, et ne les recevoir que quand ils seront secs.


Outre cela il est à-propos d’examiner si ces ballots ne sont pas fourrés : car il y a souvent dans le milieu des ballots de chanvre, des liasses d’étoupes, des bouts de corde, des morceaux de bois, des pierres et des feuilles ; tout cela augmente le poids, et ce sont des matières inutiles.

Ainsi quand on trouve des ballots fourrés, il faut ôter soigneusement toutes les matières étrangères.


Nous avons parlé de ce qu’on appelle queue de chanvre, mais il importe ici de savoir comment ces queues sont faites, puisque leur forme aide à faire mieux connaître si le chanvre est bon, ou s’il ne l’est pas.


Il faut pour cela distinguer deux bouts dans un brin de chanvre ; l’un fort délié qui aboutissait au haut de la tige de la plante, et l’autre assez épais qui se terminait à la racine : on appelle ce bout la patte du chanvre.


Lorsqu’on forme une queue de chanvre, on met toutes les pattes d’un côté ; et cette extrémité s’appelle la tête ; l’autre extrémité, qu’on appelle le petit bout ou la pointe, n’étant composée que de brins déliés, ne peut être aussi grosse que la tête.


Or il faut pour qu’une queue de chanvre soit bien conditionnée, qu’elle aille en diminuant uniformément de la tête à la pointe, et qu’elle soit encore bien garnie aux trois quarts de sa longueur ; car quand le chanvre est bien nourri, quand la plante qui l’a fourni, était vigoureuse, il diminue insensiblement et uniformément depuis la racine jusqu’au petit bout : au contraire quand la plante a pâti, le chanvre perd tout-d’un-coup sa grosseur un peu au-dessus des racines ; et alors les pattes qu’on sera obligé de retrancher, sont grosses ; et le reste, qui est la partie utile, est maigre. Outre cela, quand les paysans ont beaucoup de chanvre court, au lieu d’en faire des queues séparées, ils mêlent ce chanvre court avec le long ; et alors les queues ne suivent pas non plus une diminution uniforme depuis la tête jusqu’à la pointe : mais il faut surtout être en garde contre une autre supercherie des paysans, qui, pour faire croire que leurs queues de chanvre sont bien fournies dans toute leur longueur, ont soin de les fourrer vers le milieu avec de l’étoupe. On reconnaitra néanmoins cette fourberie, en prenant les queues de chanvre par la tête et en les secouant, pour voir si tous les brins se plongent dans toute la longueur de la queue.


J’ai déjà fait remarquer que comme les pattes sont inutiles, et qu’elles doivent être retranchées par les peigneurs, il est très-avantageux que les queues de chanvre n’aient point trop de pattes ; ce qui est le défaut principal de toutes les queues de chanvre qui ne suivent pas une diminution uniforme dans toute leur longueur.


D’ailleurs, tous les brins de chanvre que les paysans mettent pour nourrir les queues, restent sur le peigne, et ne fournissent que du second brin ou de l’étoupe.


Il faut de plus remarquer que quand les pattes sont très-grosses, relativement aux brins de chanvre qui y répondent, ces brins faibles se rompent sur le peigne à cause de la trop grande résistance des pattes ; et alors ils fournissent beaucoup de brin court ou de second brin, ou d’étoupe, et fort peu de brin long ou de premier brin. On verra dans la suite combien il est avantageux d’avoir beaucoup de premier brin, qui est presque la seule partie utile.


Il est aisé de conclure que quand le chanvre a ainsi beaucoup de pattes, ou quand les queues se trouvent fourrées ou nourries de chanvre court, il faudra augmenter la tare de sept, huit, ou dix livres par quintal, en un mot proportionnellement au déchet que ces circonstances doivent produire. Cependant quand ces défauts sont communs à tous les chanvres d’une année, il serait injuste de s’en prendre au fournisseur, puisqu’il lui aurait été impossible d’en trouver de meilleur.


Nous avons expliqué comment on broyait et comment on tillait le chanvre ; mais nous avons remis à expliquer les avantages et les désavantages de ces différentes pratiques.


Le chanvre broyé est plus doux et plus affiné que le tillé ; il a aussi moins de pattes ; et une partie des pointes les plus tendres, et qui n’auraient pas manqué de fournir des étoupes, sont restées dans la broie : ainsi il paraîtrait que ce chanvre devrait moins fournir de déchet que le chanvre tillé ; cependant il en fournit ordinairement davantage, non-seulement parce qu’il n’est jamais si net de chènevottes, mais principalement parce que les brins étant mêlés les uns dans les autres, il s’en rompt un plus grand nombre quand on les passe sur le peigne ; d’où il suit nécessairement que ce chanvre au sortir du peigne est plus doux et plus affiné que le chanvre tillé. Néanmoins l’inconvénient du déchet et celui d’avoir un peu plus de chènevottes que n’en a le chanvre tillé, a déterminé à contraindre les fournisseurs à ne fournir que du chanvre tillé. M. Duhamel croit cependant que les chanvres fort durs en vaudraient mieux s’ils étaient broyés ; car, dit-il, quand nous parlerons dans la suite des préparations qu’on donne au chanvre, on connaîtra que la broie est bien capable de l’affiner et de l’adoucir.


On s’attache quelquefois trop dans les recettes à la couleur du chanvre ; celui qui est de couleur argentine et comme gris-de-perle, est estimé le meilleur ; celui qui tire sur le vert est encore réputé bon ; on fait moins de cas de celui qui est jaunâtre, mais on rebute celui qui est brun.


Nous avons fait voir que la couleur des chanvres dépend principalement des eaux où on les fait rouir ; et que celui qui l’a été dans une eau dormante, est d’une autre couleur que celui qui l’aurait été dans une eau courante, sans que pour cela la qualité du chanvre en soit différente : ainsi nous croyons qu’il ne faut pas beaucoup s’attacher à la couleur des chanvres ; pourvu qu’ils ne soient pas noirs, ils sont recevables : mais la couleur noire ou fort brune indique, ou que les chanvres auraient été trop rouis, ou qu’ils auraient été mouillés étant en balles, et qu’ils se seraient échauffés.


On doit surtout examiner si les queues de chanvre sont de différente couleur ; car si elles étaient marquées de taches brunes, ce serait un indice certain qu’elles auraient été mouillées en balles ; et dans ce cas les endroits plus bruns sont ordinairement pourris.


Il vaut mieux s’attacher à l’odeur du chanvre qu’à sa couleur ; car il faut rebuter sévèrement celui qui sent le pourri, le moisi, ou simplement l’échauffé, et choisir par préférence celui qui a une odeur forte, parce que cette odeur indique qu’il est de la dernière récolte ; condition que l’on regarde comme importante dans les corderies, parce que le chanvre nouveau produit moins de déchet que le vieux. Il est vrai aussi qu’il ne s’affine pas si parfaitement ; et si l’on y réfléchissait bien, peut-être mépriserait-on un peu de déchet pour avoir un chanvre plus affiné.


Il y a des queues de chanvre dont tous les brins depuis la racine jusqu’à la pointe, sont plats comme des rubans, et d’autres ont ces brins ronds comme des cordons. Il est certain que les premiers sont plus aisés à affiner, parce qu’ils se refendent plus aisément sur le peigne, et c’est la seule raison de préférence qu’on y trouve ; aussi ne rebutera-t-on jamais une queue de chanvre, par la seule raison que les brins qui la composent sont ronds.


Il y a des chanvres beaucoup plus longs les uns que les autres, et on donne toujours la préférence aux chanvres qui sont les plus longs : nous croyons cependant que si les chanvres trop courts font de mauvaises cordes, ceux qui sont trop longs occasionnent un déchet inutile, et qu’ils sont ordinairement plus rudes que les chanvres courts ; et c’est encore un défaut.


Quand le chanvre est fin, moelleux, souple, doux au toucher, peu élastique, et en même temps difficile à rompre, il est certain qu’il doit être regardé comme le meilleur ; mais si le chanvre est rude, dur, et élastique, on peut être certain qu’il donnera toujours des cordes faibles.


Il est très-avantageux que les matières qu’on emploie pour faire des cordes, soient souples ; et il n’est pas douteux que c’est la roideur de l’écorce du tilleul et du jonc, qui fait principalement la faiblesse des cordes qui sont faites avec ces matières.


On verra ailleurs, qu’on peut procurer au chanvre cette souplesse si avantageuse, par l’espade, par le peigne, etc.


Nous avons fait remarquer que les chanvres très-rouis étaient les plus souples : nous avons prouvé aussi que l’opération de rouir était un commencement de pourriture, et que si on laissait trop longtemps le chanvre dans les routoirs, il se pourrirait entièrement ; d’où on peut conclure que les chanvres qui n’ont acquis leur souplesse qu’à force de rouir, doivent pourrir plutôt par le service, que ceux qui sont plus durs.


Nous observerons que le chanvre cueilli un peu vert, et dont les fibres de l’écorce n’étaient pas encore devenues très-ligneuses, sont plus souples que les autres ; mais ces chanvres doux, pour être trop herbacés, sont aussi plus aisés à pourrir que les chanvres rudes et très-ligneux. On convient assez généralement de cette proposition dans les corderies : celui de Riga, par exemple, passe pour pourrir plus promptement que les chanvres de Bretagne.


Nous avons dit qu’on mettait rouir le chanvre principalement pour séparer l’écorce de la chènevotte, à laquelle elle est fort adhérente avant cette opération. Quand donc le chanvre n’est pas assez roui, l’écorce reste trop adhérente à la chènevotte, on a de la peine à l’en séparer, et il en reste toujours d’attachée au chanvre, surtout quand il a été broyé.


Ce défaut est considérable, parce que les chènevottes rendent le fil d’inégale grosseur, et qu’elles affaiblissent dans les endroits où elles se rencontrent ; mais quand les chanvres ont été trop rouis, l’eau qui a agi plus puissamment sur la pointe qui est tendre, l’a souvent entièrement pourrie.


Ainsi quand les chanvres sont bien nets de chènevottes, ou qu’on remarque que les chènevottes qui restent sont peu adhérentes à la filasse, il faut examiner si les pointes ont encore de la force ; et cela surtout aux chanvres tillés ; car les pointes des chanvres trop rouis restent ordinairement dans la broie ou macque, et ne se trouvent point dans les queues, qui en sont seulement plus courtes ; ce qui n’est pas un défaut, si le chanvre a encore assez de longueur.


Nous observerons que le chanvre femelle qu’on a laissé sur pied pour y mûrir son chènevis, était devenu par ce délai plus ligneux, plus dur et plus élastique que le chanvre mâle qu’on avait arraché plus de trois semaines plutôt. Nous venons de dire que le chanvre le plus fin et le plus souple est le meilleur ; d’où il faut conclure que le chanvre mâle est de meilleure qualité que le chanvre femelle : les paysans qui le savent bien, essaient de le vendre un peu plus cher, et cela est juste. Une fourniture est réputée bonne quand elle contient autant de chanvre mâle que de femelle ; ce qui sera aisé à distinguer par la dureté et la roideur du chanvre femelle, qui est ordinairement plus brun que le chanvre mâle, qui a une couleur plus brillante et plus argentine.


On verra ailleurs, que le premier brin est presque la seule partie utile dans le chanvre ; d’un autre côté on sait, après ce qui vient d’être dit, que tous les chanvres ne fournissent pas également du premier brin : il est donc nécessaire, quand on fait une recette un peu considérable de chanvre, de s’assurer de la quantité du premier et second brin, d’étoupes et de déchet que pourra produire le chanvre que présente le fournisseur. Or cela se connaît en faisant espader et peigner, en un mot préparer comme on a coutume de le faire, un quintal. On pèse ensuite le premier, le second et le troisième brin qu’on a retirés de ce quintal ; et le manque marque le déchet : d’ailleurs le chanvre qu’on reçoit étant destiné à faire des cordes, celui qui fera les cordes les plus fortes, sera meilleur. Il résulte donc de-là une manière de l’éprouver. Voyez le détail de cette épreuve, dans l’ouvrage de M. Duhamel.

A mesure qu’on fait la recette, on porte les balles de chanvre dans les magasins, où elles doivent rester jusqu’à ce qu’on les délivre aux espadeurs ; et comme les consommations ne sont pas toujours proportionnelles aux recettes, on est obligé de les laisser quelquefois assez longtemps dans les magasins, où il est important de les conserver avec beaucoup d’attention, sans quoi on courait risque d’en perdre beaucoup ; il est donc avantageux de rapporter en quoi consistent ces précautions.


1°. Les magasins où l’on conserve le chanvre doivent être des greniers fort élevés et spacieux, plafonnés, percés de fenêtres ou de grandes lucarnes de côté et d’autre ; et ces fenêtres doivent fermer avec de bons contrevents, qu’on tiendra ouverts quand le temps sera frais et sec, et qu’on fermera soigneusement quand l’air sera humide, et du côté du soleil quand il sera fort chaud ; car la chaleur durcit, roidit le chanvre, et le fait à la longue tomber en poussière : quand au contraire il est humide, il court risque de s’échauffer. Il est important pour la même raison qu’il ne pleuve point sur le chanvre, ainsi il faudra entretenir les couvertures avec tout le soin possible.


2°. Si le chanvre qu’on reçoit est tant-sait-peu humide, on l’étendra, et on ne le mettra en meulons que quand il sera fort sec, sans quoi il s’échaufferait et serait bientôt pourri.


3°. Pour que l’air entre dans les meulons de tous côtés, on ne les fera que de quinze à dix-huit milliers, et on ne les élèvera pas jusqu’au tait. Comme dans les recettes il se trouve presque toujours du chanvre de différente qualité, on aura l’attention, autant que faire se pourra, que tout le chanvre d’un même meulon soit de la même qualité, afin qu’on puisse employer aux manœuvres les plus importantes les chanvres les plus parfaits ; c’est une attention qu’on n’a pas ordinairement, mais qui est des plus essentielles.


4°. On fourrera de temps en temps les bras dans les meulons, pour connaître s’ils ne s’échauffent pas ; et s’il y avait de la chaleur dans quelques-uns, on les déferait, leur laisserait prendre l’air, et les transporterait dans d’autres endroits.


5°. Une ou deux fois l’année on changera les meulons de place, pour mieux connaître en quel état ils sont intérieurement ; d’ailleurs, par cette opération l’on expose le chanvre à l’air, ce qui lui est toujours avantageux.


6°. Quelquefois les rats et les souris endommagent beaucoup le chanvre, qu’ils rongent et qu’ils bouchonnent pour y faire leur nid ; c’est à un homme attentif à leur faire la guerre.


Cependant, malgré toutes ces précautions, le chanvre diminue toujours à mesure qu’on le garde ; et quand on vient à le préparer, on y trouve plus de déchet que quand il est nouveau : il est vrai que le chanvre gardé s’affine mieux, mais il est difficile que cet avantage puisse compenser le déchet.


Il s’agit maintenant de continuer la préparation du chanvre.


Le premier soin de ceux qui occupent l’atelier où nous entrons, celui des espadeurs, est de le débarrasser des petites parcelles de chènevottes qui y restent, ou des corps étrangers, feuilles, herbes, poussière, etc. et de séparer du principal brin l’étoupe la plus grossière, c’est-à-dire les brins de chanvre qui ont été rompus en petites parties, ou très-bouchonnés.


Le second avantage qu’on doit avoir en vue, est de séparer les unes des autres les fibres longitudinales, qui par leur union forment des espèces de rubans.


La force des fibres du chanvre, selon leur longueur, est sans contredit fort supérieure à celle des petites fibres qui unissent entr’elles les fibres longitudinales, c’est-à-dire qu’il faut infiniment plus de force pour rompre deux fibres que pour les séparer l’une de l’autre : ainsi en frottant le chanvre, en le pilant, en le fatiguant beaucoup, on contraindra les fibres longitudinales à se séparer les unes des autres, et c’est cette séparation plus ou moins grande qui fait que le chanvre est plus ou moins fin, plus ou moins élastique, et plus ou moins doux au toucher.


Rien n’est si propre à détacher les chènevottes du chanvre, à en ôter la terre, à en séparer les corps étrangers, que de le secouer et le battre comme nous venons de le dire.


Pour donner au chanvre les préparations dont nous venons de parler, il y a différentes pratiques.


Tous les ouvriers qui préparent le chanvre destiné à faire du fil pour de la toile, et la plupart des cordiers de l’intérieur du royaume pilent leur chanvre, c’est-à-dire qu’ils le mettent dans des espèces de mortiers de bois, et qu’il le battent avec de gros maillets : on pourrait abréger cette opération en employant des moulins à-peu-près semblables à ceux des papeteries ou des poudrières ; cette pratique, quoique très-bonne, n’est point en usage dans les corderies de la marine, peut-être a-t-on appréhendé qu’elle n’occasionnât trop de déchet ; car dans quelques épreuves que M. Duhamel en a faites, il lui a paru effectivement que le déchet était considérable.


La seule pratique qui soit en usage dans les ports, encore ne l’est-elle pas par-tout, c’est celle qu’on appelle espader, et que nous allons décrire, en commençant par donner une idée de l’atelier des espadeurs, et des instruments dont ils se servent.


L’atelier des espadeurs, qu’on voit Pl. I. seconde division, est une salle plus ou moins grande, suivant le nombre des ouvriers qu’on y veut mettre ; mais il est essentiel que le plancher en soit élevé, et que les fenêtres en soient grandes, pour que la poussière qui sort du chanvre, et qui fatigue beaucoup la poitrine des ouvriers, se puisse dissiper.


Tout-autour de cette salle il y a des chevalets simples X, et quelquefois dans le milieu il y en a une rangée de doubles Y ; nous allons expliquer quelle est la forme de ces chevalets, et quelle différence il y a entre les chevalets simples et les doubles.


Pour cela il faut se représenter une pièce de bois de quinze à dix-huit pouces de largeur, et de huit à neuf d’épaisseur ; si le chevalet doit être simple, on ne donne à cette pièce que trois pieds et demi ou quatre pieds de longueur ; mais si le chevalet est double, elle doit avoir quatre pieds et demi à cinq pieds : à un de ses bouts, si le chevalet est simple, ou à chacun de ses bouts, s’il est double, on doit assembler ou clouer solidement une planche qui aura douze à quatorze lignes d’épaisseur, dix à douze pouces de largeur, et trois pieds et demi de hauteur ; ces planches doivent être dans une situation verticale, et assemblées perpendiculairement à la pièce de bois qui sert de pied ; enfin elles doivent avoir en-haut une entaille demi-circulaire Y, de quatre à cinq pouces d’ouverture, et de trois et demi à quatre pouces de profondeur.


Un chevalet simple ne peut servir qu’à un seul ouvrier, et deux peuvent travailler ensemble sur un chevalet double.


L’atelier des espadeurs n’est pas embarrassé de beaucoup d’instruments ; avec les chevalets dont nous venons de parler, il faut seulement des espades, ou espadons, Z, qui ne sont autre chose que des palettes de deux pieds de longueur, de quatre ou cinq pouces de largeur, et de six à sept lignes d’épaisseur, qui forment des couteaux à deux tranchants mousses, et qui ont à un de leurs bouts une poignée pour les tenir commodément.


L’espadeur prend de sa main gauche, et vers le milieu de sa longueur, une poignée de chanvre pesant environ une demi-livre, il serre fortement la main ; et ayant appuyé le milieu de cette poignée de chanvre sur l’entaille de la planche perpendiculaire du chevalet, il frappe du tranchant de l’espade sur la portion du chanvre qui pend le long de cette planche M. Quand il a frappé plusieurs coups, il secoue sa poignée de chanvre N, il la retourne sur l’entaille, et il continue de frapper jusqu’à ce que son chanvre soit bien net, et que les brins paraissent bien droits ; alors il change de chanvre bout pour bout, et il travaille la pointe comme il a fait les pattes ; car on commence toujours à espader le côté des pattes le premier : mais on ne saurait trop recommander aux espadeurs de donner toute leur attention à ce que le milieu du chanvre soit bien espadé, sans se contenter d’espader les deux extrémités, ce qui est un grand défaut où ils tombent communément.


Quand une poignée est bien espadée dans toute sa longueur, l’ouvrier la pose de travers sur la pièce de bois qui forme le pied de son chevalet O, et il en prend une autre à laquelle il donne la même préparation ; enfin quand il y en a une trentaine de livres d’espadées, on en fait des ballots qu’on porte aux peigneurs. Voyez ces ballots en P.


Il faut observer que si le chanvre n’était pas bien arrangé dans la main des espadeurs, il s’en détacherait beaucoup de brins qui se bouchonneraient ; c’est pourquoi les ouvriers attentifs ont soin de bien arranger le chanvre avant que de l’espader ; malgré cela il ne laisse pas de s’en détacher plusieurs brins qui tombent à terre, mais ils ne sont pas perdus pour cela ; car quand il y en a une certaine quantité, les espadeurs les ramassent, les arrangent le mieux qu’ils peuvent en poignées, et les espadent à part ; en prenant cette précaution, il ne reste plus qu’une mauvaise étoupe dont on faisait autrefois des matelas pour les équipages ; mais les ayant trouvé trop mauvais, on n’emploie plus à présent ces grosses étoupes qu’à faire des flambeaux, des tampons pour les mines, des torchons pour l’étuve, etc.



Le chanvre est plus ou moins long à espader, selon qu’il est plus ou moins net, surtout de chènevottes, et le déchet que cette préparation occasionne dépend aussi des mêmes circonstances ; cependant un bon espadeur peut préparer soixante à quatre-vingt-livres de chanvre dans sa journée, et le déchet se peut évaluer à cinq, six ou sept livres par quintal.

M. Duhamel regarde cette préparation comme importante, et croit qu’il faut espader tous les chanvres avec le plus grand soin ; si nous n’appréhendions pas, dit-il, d’occasionner trop de déchet, nous voudrions quand les chanvres sont rudes, qu’on les fit passer sous des maillets avant que de les espader.

Le chanvre a commencé à être un peu nettoyé, démêlé, et affiné dans l’atelier des espadeurs ; les coups de maillet ou d’espade qu’il y a reçus, en ont fait sortir beaucoup de poussière, de petites chènevottes, et en ont séparé quantité de mauvais brins de chanvre : de plus, les fibres longitudinales ont commencé à se désunir ; mais elles ne sont pas entièrement séparées, la plupart tiennent encore les unes aux autres, ce sont les dents des peignes qui doivent achever cette séparation ; elles doivent, comme l’on dit, refendre le chanvre ; mais elles feront plus, elles détacheront encore beaucoup de petites chènevottes qui y sont restées, elles achèveront de séparer tous les corps étrangers qui seront mêlés avec le chanvre, et les brins trop courts ou bouchonnés qui ne peuvent donner que de l’étoupe ; enfin elles arracheront presque toutes les pattes, qui sont toujours épaisses, dures, et ligneuses. Ainsi les peigneurs doivent perfectionner ce que les espadeurs ont ébauché. Parcourons donc leur atelier ; connaissons les instruments dont ils se servent ; voyons travailler les peigneurs ; examinons les différents états du chanvre à mesure qu’on le peigne.


L’atelier des peigneurs, qu’on voit Pl. I. troisième division, est une grande salle dont le plancher doit être élevé, et qui doit, ainsi que celui des espadeurs, être percé de plusieurs grandes fenêtres, afin que la poussière qui sort du chanvre fatigue moins la poitrine des ouvriers ; car elle est presqu’aussi abondante dans cet atelier que dans celui des espadeurs ; mais les fenêtres doivent être garnies de bons contrevents, pour mettre les ouvriers à l’abri du vent et de la pluie, et même du soleil quand il est trop ardent.


Le tour de cette salle doit être garni de fortes tables R, solidement attachées sur de bons treteaux de deux pieds et demi de hauteur, qui doivent être scellés par un bout dans le mur, et soutenus à l’autre bout par des montants bien solides.


Les peignes sont les seuls outils qu’on trouve dans l’atelier dont nous parlons ; on les appelle dans quelques endroits des serants.


Ils sont composés de six ou sept rangs de dents de fer, à-peu-près semblables à celles d’un râteau ; ces dents sont fortement enfoncées dans une épaisse planche de chêne : il y a des corderies où on ne se sert que de peignes de deux grosseurs ; dans d’autres il y en a de trois, et dans quelques-unes de quatre.

Les dents des plus grands S ont 12 à 13 pouces de longueur ; elles sont carrées, grosses par le bas de six à sept lignes, et écartées les unes des autres par la pointe, ou en comptant du milieu d’une des dents au milieu d’une autre, de deux pouces.


Ces peignes ne sont pas destinés à peigner le chanvre pour l’affiner, ils ne servent qu’à former les peignons ou ceintures ; c’est-à-dire à réunir ensemble ce qu’il faut de chanvre peigné et affiné pour faire un paquet suffisamment gros, pour que les fileurs puissent le mettre autour d’eux sans en être incommodés, et qu’il y en ait assez pour faire un fil de la longueur de la corderie ; nous appellerons ce grand peigne le peigne pour les peignons.


Le peigne de la seconde grandeur T, que nous appellerons le peigne à dégrossir, doit avoir les dents de sept à huit pouces de longueur, de six lignes de grosseur par le bas, et elles doivent être écartées les unes des autres de quinze lignes, en prenant toujours du milieu d’une dent au milieu d’une autre, ou en mesurant d’une pointe à l’autre.


C’est sur ce peigne qu’on passe d’abord le chanvre pour ôter la plus grosse étoupe ; et dans quelques corderies on s’en tient à cette seule préparation pour tout le chanvre qu’on prépare, tant pour les câbles que pour toutes les manœuvres courantes : dans d’autres on n’emploie ce chanvre dégrossi que pour les câbles.


Le peigne de la troisième grandeur V, que nous appellerons peigne à affiner, a les dents de quatre à cinq pouces de longueur, cinq lignes de grosseur par les bas, et éloignées les unes des autres de dix à douze lignes.


C’est sur ce peigne qu’on passe dans quelques corderies le chanvre qu’on destine à faire les haubans et les autres manœuvres tant dormantes que courantes.


Enfin il y a des peignes X, qui ont les dents encore plus courtes, plus menues et plus serrées que les précédents ; nous les appellerons des peignes fins.


C’est avec ces peignes qu’on prépare le chanvre le plus fin, qui est destiné à faire de petits ouvrages, comme le fil de voile, les lignes de loc, lignes à tambours, etc. Il est bon d’observer :


1°. Que les dents doivent être rangées en échiquier ou en quinconce, ce qui fait un meilleur effet que si elles étaient rangées carrément, et vis-à-vis les unes des autres, quand même elles seraient plus serrées. Il y a à la vérité beaucoup de peignes où les dents sont rangées de cette façon : mais il y en a aussi où elles le sont sur une même ligne ; et c’est un grand défaut, puisque plusieurs dents ne font que l’effet d’une seule.


2°. Que les dents doivent être taillées en losange, et posées de façon que la ligne qui passerait par les deux angles aigus, coupât perpendiculairement le peigne suivant sa longueur : d’où il résulte deux avantages ; savoir, que les dents résistent mieux aux efforts qu’elles ont à souffrir, et qu’elles refendent mieux le chanvre ; c’est pour cette seconde raison qu’il faut avoir grand soin de rafraichir de temps en temps les angles et les pointes des dents, qui s’émoussent assez vite, et s’arrondissent enfin en travaillant.


Quand on a espadé une certaine quantité de chanvre, on le porte à l’atelier des peigneurs.


Alors un homme fort et vigoureux prend de sa main droite une poignée de chanvre, vers le milieu de sa longueur : il fait faire au petit bout de cette poignée un tour ou deux autour de cette main, de sorte que les pattes et un tiers de la longueur du chanvre pendent en bas ; alors il serre fortement la main, et faisant décrire aux pattes du chanvre une ligne circulaire, il les fait tomber avec force sur les dents du peigne à dégrossir, et il tire à lui, ce qu’il répète en engageant toujours de plus en plus le chanvre dans les dents du peigne, jusqu’à ce que ses mains soient prêtes à toucher aux dents.


Par cette opération le chanvre se nettoie des chènevottes et de la poussière ; il se démêle, se refend, s’affine ; et celui qui était bouchonné ou rompu, reste dans le peigne, de même qu’une partie des pattes ; je dis une partie, car il en resterait encore beaucoup si l’on n’avait pas soin de le moucher. Voici comment cela se fait :


Le peigneur tenant toujours le chanvre dans la même situation de la main droite, prend avec sa main gauche quelques-unes des pattes qui restent au bout de sa poignée, il les tortille à l’extrémité d’une des dents du peigne ; et tirant fortement de la main droite, il rompt le chanvre au-dessus des pattes qui restent ainsi dans les dents du peigne, et il réitère cette manœuvre jusqu’à ce qu’il ne voie plus de pattes au bout de la poignée qu’il prépare ; alors il la repasse deux fois sur le peigne, et cette partie de son chanvre est peignée.


Il s’agit ensuite de donner à la pointe qu’il tenait dans sa main une préparation pareille à celle qu’il a donnée à la tête ; mais comme ce travail est le même, à la réserve qu’au lieu de la moucher on ne fait que rompre quelques brins qui excédent un peu la longueur des autres, nous ne répéterons point ce que nous venons de dire en parlant de la préparation de la tête, nous nous contenterons de faire les remarques suivantes.


On commence à peigner le gros bout le premier ; parce que les pattes qui s’engagent dans les dents du peigne, ou qu’on tortille autour quand on veut moucher, exigent qu’on fasse un effort auquel ne résisterait pas le chanvre qui aurait été peigné et affiné auparavant : c’est aussi pour cette raison que les bons peigneurs tiennent leur chanvre assez près des pattes, parce que les brins de chanvre diminuant toujours de grosseur, deviennent de plus en plus faibles.


Il est important que les peigneurs commencent par n’engager qu’une petite partie de leur chanvre dans le peigne, et qu’à différentes reprises ils en engagent toujours de plus en plus jusqu’à la partie qui entre dans leur main, en prenant les mêmes précautions qu’on prendrait pour peigner des cheveux. En effet, on peigne le chanvre pour l’affiner et pour le démêler ; cela étant, on conçoit qui si d’abord on engageait une grande longueur de chanvre dans le peigne, il se ferait des nœuds qui résisteraient aux efforts des peigneurs, jusqu’à ce que les brins qui forment ces nœuds fussent rompus.

On ne démêlerait donc pas le chanvre, on le romprait, et on ferait tomber le premier brin en étoupe, ou on l’accourcirait au point de n’en faire que du second brin, ce qui diminuerait la partie utile, en augmentant celle qui ne l’est pas tant : on prévient cet inconvénient en n’engageant que peu-à-peu le chanvre dans le peigne, et en proportionnant l’effort à la force du brin ; c’est-là où un peigneur habile se peut distinguer, en faisant beaucoup plus de premier brin qu’un mal-adroit.
Il faut que les peigneurs soient forts ; car s’ils ne serraient pas bien la main, ils laisseraient couler le premier brin, qui se bouchonnerait et se convertirait en étoupe ; d’ailleurs un homme faible ne peut jamais bien engager son chanvre dans les dents du peigne, ni donner en-arrière un coup de fouet, qui est très-avantageux pour détacher les chènevottes : enfin quoique le métier de peigneur paraisse bien simple, il ne laisse pas d’exiger de l’adresse, et une certaine intelligence, qui fait que les bons peigneurs tirent d’un même chanvre beaucoup plus de premier brin que ne font les apprentis.


Le chanvre est quelquefois si long qu’on est obligé de le rompre ; car si on le coupait, les brins coupés se termineraient par un gros bout qui ne se joindrait pas si bien aux autres brins, quand on en ferait du fil, que quand l’extrémité du chanvre se termine en pointe : il faut donc rompre les chanvres qui sont trop longs, mais il le faut faire avec certaines précautions que nous allons rapporter.


Si l’on pouvait prolonger dans le fil les brins de chanvre suivant toute leur longueur, assurément ils ne pourraient jamais être trop longs ; ils se joindraient mieux les uns aux autres, et on serait dispensé de les tordre beaucoup pour les empêcher de se séparer ; mais quand le chanvre est long de six à sept pieds, les fileurs ne peuvent l’étendre dans le fil de toute sa longueur, ils sont obligés de le replier, ce qui nuit beaucoup à la perfection du fil ; d’ailleurs, il suffit que le premier brin ait trois pieds de long.


Quand donc on est obligé de rompre le chanvre, les peigneurs prennent de la main gauche une petite partie de la poignée, ils la tortillent autour d’une des dents du peigne à dégrossir ; et tirant fortement de la main droite, ils rompent le chanvre, en s’y prenant de la même façon que quand ils le mouchent : cette portion étant rompue, ils en prennent une autre qu’ils rompent de même, et ainsi successivement jusqu’à ce que toute la poignée soit rompue.


A l’occasion de cette pratique, on peut remarquer deux choses ; la première, qu’il serait bon, tant pour moucher que pour rompre le chanvre, d’avoir à côté des peignes une espèce de râteau qui eut les dents plus fortes que celles des peignes ; ces dents seraient taillées en losange, et ne serviraient qu’à cet usage ; car nous avons remarqué que par ces opérations on force ordinairement les dents des peignes, et on les dérange, ce qui fait qu’ils ne sont plus si bons pour peigner, ou qu’on est obligé de les réparer fréquemment.


En second lieu, si le chanvre n’est pas excessivement long, il faut défendre très-expressément aux peigneurs de le rompre ; il vaut mieux que les fileurs aient plus de peine à l’employer, que de laisser rogner un pied ou un pied et demi de chanvre qui tomberait en second brin ou en étoupe.


Mais quelquefois le chanvre est si excessivement long qu’il faut absolument le rompre ; toute l’attention qu’il faut avoir, c’est que les peigneurs le rompent par le milieu : car il est beaucoup plus avantageux de n’avoir qu’un premier brin un peu court, que de convertir en second brin ce qui peut fournir du premier.


A mesure que les peigneurs ont rompu une pincée de chanvre, ils l’engagent dans les dents du peigne, pour la joindre ensuite au chanvre qu’ils tiennent dans leur main, ayant attention que les bouts rompus répondent à la tête de la queue ; et ensuite ils peignent le tout ensemble, afin d’en tirer tout ce qui a assez de longueur pour fournir du premier brin.


Nous avons dit qu’on peignait le chanvre pour le débarrasser de ses chènevottes, de sa poussière, et de son étoupe ; pour le démêler, le refendre, et l’affiner ; mais il y a des peigneurs paresseux, timides ou mal-adroits, qui, de crainte de se piquer les doigts, n’approchent jamais la main du peigne ; alors ils ne préparent que les bouts, et le milieu des poignées reste presque brut, ce qui est un grand défaut : ainsi il faut obliger les peigneurs à faire passer sur le peigne toute la longueur du chanvre, et s’attacher à examiner le milieu des poignées.


Malgré cette attention, quelqu’habile que soit un peigneur, jamais le milieu des poignées ne sera aussi-bien affiné que les extrémités, parce qu’il n’est pas possible que le milieu passe aussi fréquemment et aussi parfaitement sur le peigne.


C’est pour remédier à cet inconvénient que M. Duhamel voudrait qu’il y eut dans tous les ateliers des peigneurs quelques fers ou quelques frottoirs.


Nous allons décrire ces instruments le plus en abrégé qu’il nous sera possible, en indiquant la manière de s’en servir, et leurs avantages.


Le fer A est un morceau de fer plat, large de trois à quatre pouces, épais de deux lignes, long de deux pieds et demi, qui est solidement attaché, dans une situation verticale, à un poteau par deux bons barreaux de fer qui sont soudés à ses extrémités ; enfin le bord intérieur du fer plat forme un tranchant mousse.


Le peigneur B tient sa poignée de chanvre comme s’il la voulait passer sur le peigne, excepté qu’il prend dans sa main le gros bout, et qu’il laisse prendre le plus de chanvre qu’il lui est possible, afin de faire passer le milieu sur le tranchant du fer ; tenant donc la poignée de chanvre comme nous venons de le dire, il la passe dans le fer, et retenant le petit bout de la main gauche, il appuie le chanvre sur le tranchant mousse du fer ; et tirant fortement la main droite, le chanvre frotte sur le tranchant ; ce qui étant répété plusieurs fois (ayant attention que les différentes parties de la poignée portent sur le fer), le chanvre a reçu la préparation qu’on voulait lui donner, et on l’achève en le passant légèrement sur le peigne à finir.


Le frottoir ; c’est une planche d’un pouce et demi d’épaisseur, solidement attachée sur la même table où sont les peignes. Cette planche est percée dans le milieu, d’un trou qui a trois ou quatre pouces de diamètre ; et sa face supérieure est tellement travaillée, qu’elle semble couverte d’éminences taillées en pointe de diamant. Lorsqu’on veut se servir de cet instrument, on passe la poignée de chanvre par le trou qui est au milieu ; on retient avec la main gauche le gros bout de la poignée qui est sous la planche, pendant qu’avec la main droite on frotte le milieu sur les crénelures de la planche, ce qui affine le chanvre plus que le fer dont nous venons de parler ; mais cette opération le mêle davantage et occasionne plus de déchet.


Ces méthodes sont expéditives ; elles n’occasionnent pas un déchet considérable, et elles affinent mieux le chanvre que l’on ne pourrait faire en le peignant beaucoup. Il ne faut pas trop peigner les chanvres doux ; mais un chanvre grossier, dur, rude et ligneux, doit être beaucoup plus peigné et tourmenté pour lui procurer la souplesse et la douceur qu’on désire, qu’un chanvre fin et tendre.


Les peigneurs passent le chanvre brut d’abord sur le peigne à dégrossir, et ensuite sur le peigne à finir ; ce qui reste dans leur main est le chanvre le plus long, le plus beau, et le plus propre à faire de bonnes cordes, et c’est celui-là qu’on appelle premier brin : mais un peigneur mal-habile ne tire jamais une aussi grande quantité de premier brin, et ce brin n’est jamais si beau que celui qui sort d’une bonne main.


Les bons peigneurs peuvent tirer d’un même chanvre une plus grande ou moindre quantité de premier brin, soit en le peignant plus ou moins, soit en le passant sur deux peignes, ou en ne le passant que sur le peigne à dégrossir, ou enfin en tenant leur chanvre plus près ou plus loin de l’extrémité qu’ils passent sur le peigne ; c’est-là ce qu’on appelle tirer plus ou moins au premier brin.


Ce qui reste dans les peignes qui ont servi à préparer le premier brin, contient le second brin et l’étoupe : moins on a retiré du premier brin, meilleur il est, parce qu’il se trouve plus déchargé du second brin ; et en même-temps ce qui reste dans le peigne est aussi meilleur, parce qu’il est plus chargé de second brin, dont une partie est formée aux dépens du premier.


C’est ce qui avait fait imaginer de recommander aux peigneurs de tirer peu de premier brin, dans la vue de retirer du chanvre qui resterait dans le peigne trois espèces de brins.


C’est encore une question de savoir s’il convient de suivre cette méthode : mais expliquons comment on prépare le second brin.


Quand il s’est amassé suffisamment de chanvre dans le peigne, le peigneur l’en retire et le met à côté de lui ; un autre ouvrier le prend et le passe sur d’autres peignes, pour en retirer le chanvre le plus long : c’est ce chanvre qu’on appelle le second brin.


Il n’est pas besoin de faire remarquer que le second brin est beaucoup plus court que le premier, n’ayant au plus qu’un pied et demi ou deux pieds de longueur : outre cela le second brin n’est véritablement que les épluchures du premier, les pattes, les brins mal tillés, les filaments bouchonnés, etc. d’où l’on doit conclure que le second brin ne peut être aussi parfait que le premier, et qu’il est nécessairement plus court, plus dur, plus gros, plus élastique, plus chargé de pattes et de chènevottes ; c’est pourquoi on est obligé de le filer plus gros, et de le tordre davantage : le fil qu’on en fait est raboteux, inégal, et il se charge d’une plus grande quantité de goudron quand on le destine à faire du cordage noir.


Ce sont autant de défauts essentiels : on ne doit pas compter que la force d’un cordage qui serait fait du second brin, aille beaucoup au-delà de la moitié de celle d’un cordage qui serait fait du premier brin, selon les expériences que nous avons faites.


Voilà une différence de force bien considérable néanmoins il nous a paru que cette différence était encore plus grande entre le premier et le second brin du chanvre du royaume, qu’entre le premier et le second brin de celui de Riga.


Les cordages qui sont faits avec du second brin, ont encore un défaut qui mérite une attention particulière. Si l’on coupe en plusieurs bouts un même cordage, il est rare que ces différents bouts aient une force pareille : cette observation a engagé M. Duhamel à faire rompre, pour ses expériences, six bouts de cordages, afin que le fort compensant le faible, on put compter sur un résultat moyen ; mais cette différence entre la force de plusieurs cordages de même nature, est plus considérable dans les cordages qui sont faits du second brin, que dans ceux qui le sont du premier.


On voit combien il serait dangereux de se fier à des cordages qui seraient faits avec du second brin, et quelle imprudence il y aurait à les employer pour la garniture des vaisseaux : la bonne économie exige qu’on les emploie à des usages de moindre conséquence.


Comme on ne fait point de cordages avec de l’étoupe, M. Duhamel ne peut marquer quelle en serait la force en comparaison des cordages qui sont faits avec le second brin ; mais certainement elle serait beaucoup moindre : on se sert ordinairement des étoupes pour faire des liens, pour amarrer les pièces de cordages quand elles sont roues ; on en fait quelques livardes, et on en porte à l’étuve pour y servir de torchons : peut-être qu’en les passant sur des peignes fins, on pourrait en retirer encore un petit brin qui serait assez fin pour faire de petits cordages, faibles à la vérité, mais qui ne laisseraient pas d’être employés utilement. Il reste à examiner si la main-d’œuvre n’excéderait pas la valeur de la matière.


Maintenant qu’on sait par des expériences, 1° que le second brin ne peut faire que des cordes très faibles ; 2°. que quand on laisse le second brin joint au premier, il affaiblit tellement les cordes qu’elles ne sont presque pas plus fortes que si on avait retranché tout le second brin, et tenu les cordages plus légers de cette quantité : on est en état de juger si l’on doit tendre à tirer beaucoup de premier brin : ainsi nous nous contenterons de faire remarquer que tirer beaucoup de premier brin, affiner peu le chanvre, ou laisser avec le premier brin presque tout le second, ce n’est qu’une même chose.

Mais d’un autre côté, comme le second brin est de peu de valeur en comparaison du premier ; si l’on tire peu en premier brin, on augmentera la qualité et la quantité du second, en occasionnant un déchet considérable qui tombera sur la matière utile, sans que ce que le premier brin gagnera en qualité, puisse entrer en compensation avec ce qu’on perdra sur la quantité : tout cela a été bien établi ci-dessus, et nous ne le rappelons ici que pour indiquer quelle pratique il faut suivre pour tenir un juste milieu entre ces inconvénients.

M. Duhamel pense qu’il faut peigner le chanvre à fond, sans songer du-tout à ménager le premier brin ; et que pour éviter la consommation, il faut ensuite retirer le chanvre le plus beau, le plus fin, et le plus long, qui sera resté dans les peignes confondu avec le second brin et l’étoupe ; et après avoir passé ce chanvre sur le peigne à affiner, on le mêlera avec le premier brin.


Cette pratique est bien différente de celle qui est en usage ; car pour retirer beaucoup de premier brin, on peigne peu le chanvre, surtout le milieu des poignées, et on ne le travaille que sur le peigne à dégrossir ; c’est pourquoi ce chanvre demeure très-grossier, dur, élastique, et plein de chènevottes, ou de pattes ; au lieu que celui qui aura été peigné comme nous venons de le dire, deviendra doux, fin, et très-net.


Pour terminer ce qui regarde l’atelier des peigneurs, il ne reste plus qu’à parler de la façon de faire ce qu’on appelle les ceintures ou peignons dont on a déjà parlé fort en abrégé.


A mesure que les peigneurs ont préparé des poignées de premier ou de second brin, ils les mettent à côté d’eux sur la table qui supporte les peignes, ou quelquefois par terre ; d’autres ouvriers les prennent, et peu-à-peu les engagent dans les dents du grand peigne qui est destiné à faire les peignons : ils ont soin de confondre les différentes qualités de chanvre, de mêler le court avec le long, et d’en rassembler suffisamment pour faire un paquet qui puisse fournir assez de chanvre pour faire un fil de toute la longueur de la filerie, qui a ordinairement 180 à 190 brasses ; c’est ce paquet de chanvre qu’on appelle des ceintures ou des peignons. On sait par expérience que chaque peignon doit peser à-peu-près une livre et demie ou deux livres, si c’est du premier brin ; et deux livres et demie ou trois livres, si c’est du second. Cette différence vient de ce que le fil qu’on fait avec le second brin, est toujours plus gros que celui qu’on fait avec le premier ; et outre cela, parce qu’il n’y a presque pas de déchet quand on file le premier brin, au lieu qu’il y en a lorsqu’on file le second.


Quand celui qui fait les peignons juge que son grand peigne est assez chargé de chanvre, il l’ôte du peigne sans le déranger ; et si c’est du premier brin, il plie son peignon en deux pour réunir ensemble la tête et la pointe, qu’il tord un peu pour y faire un nœud ; si c’est du second brin, qui étant plus court se séparerait en deux, il ne le plie pas, mais il tord un peu les extrémités, et il fait un nœud à chaque bout ; alors ce chanvre a reçu toutes les préparations qui sont du ressort des peigneurs.

Un peigneur peut préparer jusqu’à 80 livres de chanvre par jour ; mais il est beaucoup plus important d’examiner s’il prépare bien son chanvre, que de savoir s’il en prépare beaucoup.


Il ne faut peigner le chanvre qu’à mesure qu’on en a besoin pour faire du fil ; car si on le gardait, il s’emplirait de poussière, et on serait obligé de le peigner de nouveau : c’est aussi pour garantir le brin de la poussière, qui est toujours très abondante dans la peignerie, qu’on emploie des enfants à transporter les peignons à mesure qu’on les fait, de l’atelier des peigneurs à celui des fileurs. C’est dans cet atelier que commence l’art de Corderie.

 

 

Planche 1

 

Explications de la planche 1

 

L’illustration ci-dessus représente l’atelier des espadeurs, dont le mur du fond est supposé abattu pour laisser voir dans le lointain les préparations premières et champêtres du chanvre. Quand il a été arraché de terre, et qu’on a séparé le mâle d’avec la femelle, on le fait sécher au soleil ; ensuite on le frappe contre un arbre ou contre un mur, pour en détacher les feuilles ou le fruit, et on le fait rouir ou dans une mare ou dans un ruisseau, ou enfin dans ce qu’on appelle un routoir ; c’est un fossé où il a de l’eau.

figure 1 :  Routoir , où l’on a mis le chanvre. plusieurs hommes sont occupés à le couvrir de planches, et à les charger de pierres pour le tenir au fond de l’eau, et l’empêcher de surnager.

Figure 2 : Ouvrier qui passe le chanvre sur l’égrugeoir, pour détacher le grain qui y est resté

figure 3 : Le hâloir. C’est une espèce de cabane où l’on fait sécher le chanvre, en le posant sur des bâtons au dessus d’un feu de chènevotte

figure 4 : Une femme qui tille du chanvre, c’est à dire qui en rompant le brin, sépare l’écorce du bois.

Figure 5 : Ouvrier qui rompt la chènevotte entre les deux mâchoires de la broye.

Figure 6 : Ouvrier qui espade, c’est à dire qui frappe avec l’espadon sur la poignée de chanvre qu’il tient dans l’entaille demi-circulaire de la planche verticale du chevalet

figure 7 : Ouvrier qui, pour faire tomber les chènevottes, secoue contre la planche du chevalet la poignée de chanvre qu’il a espadée. 

figure 8 : Autre espadeur qui fait la même opération sur l’autre planche verticale du chevalet.

figure 9 : L égrugeoir dont se sert  l’ouvrier de la figure 2. L’extrémité de cet instrument qui pose à terre, est chargée de pierres pour l’empêcher de se renverser.

figure 10 : Mâchoire supérieure de la broye vue par dessous. On voit qu’elle est fendue dans toute la longueur pour recevoir la languette du milieu de la mâchoire inférieure et former avec celle-ci deux languettes ou tranchants-mousses propres à rompre et briser la chènevotte.

figure 11 : La broye toute montée. La mâchoire supérieure est retenue dans l’inférieure par une cheville qui traverse tous les tranchants.

figure 12 : Chevalet simple

figure 13 : Chevalet double

figure 14 : Elévation d’une des planches du chevalet, soit simple, soit double.

figure 15 : Elévation et profil d’un espadon vu de face en A et de coté en B

 

 

Planche 2

 

Explications de la planche 2

 

Cette illustration représente l’atelier des peigneurs

figures 1, 2 et 3 :Peigneurs dont les uns peignent le chanvre sur le peigne à dégrossir, et d’autres sur les peignes à affiner. Ces peignes sont posés sur de grandes tables portées sur des tréteaux et scellées  dans le mur.

figure 4 : Peigneur qui passe la poignée de chanvre dans le fer pour affiner le milieu et faire tomber les chènevottes que le peigne n’a pas ôtées.

figure 5 : Ouvrier qui frotte le milieu de sa poignée sur le frottoir, pour achever d’affiner cette partie.

figure 6S : Plan et élévation d’un grand peigne garni de quarante deux dents de douze à treize pouces de longueur. Il sert à former les peignons.

figure 7T : Peigne à dégrossir, garni du même nombre de dents de sept à huit pouces de longueur.

figure 8V : Plan et élévation du peigne à affiner. Les dents en même nombre ont quatre ou cinq pouces.

Figure 9 : Plan et élévation d’un peigne fin dont les dents sont au nombre de trente six.

Figure 10 : Fer séparé du poteau auquel il est attaché dans la vignette ci dessus.

figure 11 et 12 : Plan et coupe du frottoir.

 

 

Sources :

  • www.agriculture.gouv.fr
  • www.norml.fr/botanique-transformation/cannabis-industriel
  • www.snv.jussieu.fr/bmedia/textiles/11-chanvre-historique
  • www.agriculture.gouv.fr/
  • www.croisesdelettres.over-blog.com
  • Encyclopédie Diderot et d’Alembert

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